Le dramaturge newyorkais John Patrick Shanley le proclame : «c’est le doute (si souvent ressenti au départ comme une faiblesse) qui fait changer les choses. Quand l’homme se sent incertain, quand il flanche… il est sur le point de grandir». Le doute, sentiment trouble et insaisissable, est bel et bien le personnage principal de la pièce qui porte son nom.
L’auteur situe l’action dans le contexte de sa propre enfance : une école catholique du Bronx, dans les années soixante. Beau paradoxe que la confrontation de ce lieu de moralité et d’une époque marquée par les remises en question. L’espace cloîtré de l’institution est un terreau fertile pour l’incertitude humaine, mais il en émane un message universel sur le rapport fragile entre l’autorité et la responsabilité individuelle. La thématique éponyme enveloppera d’ailleurs l’histoire jusqu’à la fin : l’auteur attend du spectateur qu’il doute. Probablement. Peut-être.
Disons-le tout de suite, ce Doute unanimement acclamé à Broadway réussit admirablement son adaptation chez nous, et mérite des éloges. C’est une intrigue tendue, intelligemment construite sur une écriture sans relâchement, et – joie ! – elle est servie chez Duceppe par une équipe de haut vol. La traduction rigoureuse de Michel Dumont, le magnifique décor de Richard Lacroix, la mise en scène précise de Martine Beaulne et le jeu solide des quatre comédiens servent parfaitement l’humanité de la thèse. Car si l’institution religieuse cloisonne les esprits, les personnalités, elles, doivent rester claires comme autant de bougies allumées au fond d’une église.
Au fait, de quoi doute-t-on ici? De la conduite du prêtre en charge de l’éducation physique des garçons, à qui l’on reproche en somme d’avoir été… trop physique. Si le mot pédophilie n’est jamais prononcé, d’autres, plus pudiques, hantent les personnages : séduction, relation malsaine, abus. Né de peu de choses dans l’œil de la directrice, ce soupçon se trouve étouffé par de nombreux carcans : les murs de l’institution, la culture du secret, l’incommunicabilité entre prêtre et religieuse, la présence d’un élève noir, les préjugés et tous les tabous dont les seuls noms sont proscrits. Pour éclore, la vérité devra donc emprunter des chemins détournés, tout comme les sermons du curé.
Dans cet impeccable jeu de suspicions, tout est d’un noir charbonneux, en contraste avec la blancheur des visages. Visages qui scrutent, visages qui pensent, visages qui confrontent, visages qui doutent. Ironiquement, la vraie touche de couleur arrive avec l’intrusion de l’unique personnage laïque : la mère de la victime présumée.
Du texte de Shanley ressort la volonté de ne pas prendre parti quant à la culpabilité du prêtre. On pourrait dire que la direction d’acteurs se montre un peu plus partiale, et c’est son droit. Quoi qu’il en soit, l’auteur respecte trop la multiplicité pour imposer une morale. À chaque spectateur de se débrouiller avec sa conscience.
Une pièce à voir sans aucun doute!