Article original publié dans Le Polyscope le 11 février 2008
Un quart de siècle! Déjà un quart de siècle que le professeur Trevor W. Payne, infatigable mentor aux excentriques verres fumés, incarne l’âme du Montreal Jubilation Choir. Pour une chorale gospel, vingt-cinq ans de résidence dans notre métropole laïque, ça se célèbre.
Natif de la Barbade, Payne fonde le chœur en 1982 avec l’aide de Daisy Peterson Sweeney, la sœur d’Oscar Peterson. Il s’agit alors de marquer les 75 ans de l’église Union United Church de Montréal, en compagnie de quelques pointures du jazz, dont Oliver Jones, Ranee Lee et Charles Biddle. Le concert est un succès immédiat, et la suite appartient désormais à l’histoire. Le Choir a enregistré une dizaine d’albums, collaboré avec Céline Dion, Foreigner, New Kids On The Block, Michael Bolton et Ray Charles, chanté pour Nelson Mandela et Elizabeth II, et s’est forgé une réputation qui dépasse très largement l’île de Montréal. Le bilan de ces vingt-cinq années se trouve chez tous les bons disquaires, comme on dit, sous la forme d’une compilation justement intitulée LOOKING BACK Volume 2. On y constate qu’après les incursions dans des territoires musicaux allant jusqu’au classique – un objectif discutable –, le répertoire s’est recentré sur ses racines noires : le gospel, bien sûr, mais aussi le jazz (mainstream et moderne), les musiques africaines, la soul et le rhythm’n’blues. Ça groove et on ne s’en plaindra pas!
À la question usée «faut-il être croyant pour apprécier cette musique?», empressons-nous de répondre qu’il faut en effet croire… en la musique! Le chef de chœur confiait lui-même à La Presse : «Je ne suis pas un prêtre, seulement un musicien. C’est drôle : à la blague, on a aussi surnommé Ray Charles the high priest».
Mais revenons à cette soirée, celle du 14 décembre 2007, pour être exact, et à cette église St-James fraîchement remise en valeur et pleine à craquer d’une foule ni particulièrement noire, ni particulièrement pieuse, venue communier sur l’autel universel de la musique soul. Pour faire entrer ce quart de siècle dans la légende, Payne a fait appel à quelques invités spéciaux, à commencer par le légendaire Oliver Jones, héritier du titre de pianiste phare du jazz local depuis que l’arthrite a ralenti les doigts d’Oscar Peterson. Dans les pièces instrumentales de la deuxième partie, Jones a réalisé le double miracle de compenser par son énergie l’absence des choristes et de jouer juste sur un piano désaccordé! Autres invités, la chanteuse classique Gwyn Beaver dans une déchirante version de Motherless Child, le chanteur-prêcheur Alan Prater, tellement inspiré qu’il n’en touche plus le sol, et, surtout, le Jubilation Big Band au souffle si puissant qu’on entend deux fois plus de musiciens qu’on n’en voit.
Dans leurs robes blanches et azur, les 38 choristes ont su offrir une performance à la hauteur de la réputation du chœur, ce qui n’est pas peu dire. La sonorisation, c’est vrai, les «enterrait» un peu derrière les instruments, donnant une dimension d’autant plus appréciable aux pièces a cappella. Les solistes faisaient preuve de solides qualités vocales derrière l’attitude nécessairement réservée du choriste propulsé à l’avant-plan le temps d’une chanson.
Depuis Highway to Heaven, l’introduction traditionnelle du Choir, jusqu’au rappel – l’incontournable medley de Noël, l’église résonnait de ce mélange d’application et du groove si prenant qui caractérise les meilleurs chœurs gospel. Alors, quand Trevor W. Payne a fait mine de congédier ses choristes pour faire monter le public sur la (petite) scène, les candidats se sont bousculés pour aller hurler un Glory Train pas très catholique!
Merci encore, Professeur! On se revoit à Noël… pendant les vingt-cinq prochaines années?