Voici le texte que j’ai écrit pour le Cabaret des auteurs du dimanche dont le thème était mais.
Hé hé, c’est un thème parfait pour parler des sujets controversés, hein? Des trucs qui te polarisent un bar en moins de temps qu’il n’en faut à Marie-Ève pour siffler une 50. Des questions intenses, jamais résolues, des tabous. Alors j’me lance parce qu’il faut que ça sorte :
J’haïs l’éponymie.
Ça fesse, hein?
Prenez le cas de la musique. Mettons qu’un chanteur nommé Joe Blow sort un album intitulé Joe Blow. Vous le voyez le problème? Ou plutôt LES problèmes? Premièrement : tu fais un métier créatif, t’as composé 12 chansons mais t’es PAS CAPABLE de trouver un titre pour l’ensemble? Tu peux prendre le titre d’une des tounes, tsé, personne t’en voudra. À moins que TOUTES tes tounes s’appellent aussi Joe Blow parce que t’es vraiment un gros criss de paresseux? Deuxième problème : si ton album porte ton nom, c’est que t’as TOUT donné, right? T’es vide, t’es sec comme le fond de la bouteille à Marie-Ève? Donc, le message, c’est que tu feras pas d’autre album, jamais. Ça restera Joe Blow, l’album de Joe Blow? Ben tant mieux parce que même le premier, je l’écouterai pas!
Nan mais t’imagines l’écrivain? «Je voulais faire avancer la littérature et j’ai nourri ce roman pendant cinq longues années. Il était en moi. Mais j’ai pas trouvé de titre alors il s’appelle Gilbert Fournu». Mais non, Gilbert, mais non, mais non, mais non.
Pareil pour le théâtre :
– Hier, je suis allé voir Michel Tremblay.
– Ha? Il va bien?
– Non la pièce Michel Tremblay, de Michel Tremblay.
– Ah. C’est autobiographique?
– Nan, c’est éponyme.
C’est chiant, l’éponymie. C’est illogique, c’est redondant, c’est égoïste, pis c’est rigide!
Ouais, rigide. Pénélope McQuade, quand elle est trop malade pour animer Pénélope McQuade, elle se fait remplacer par un autre animateur. Un animateur qui anime Pénélope McQuade. C’est moi ou c’est malsain?
Pareil à la radio. Sur Ici Musique, je suis déjà tombé sur le remplaçant de Via Fehmiu qui parlait au remplaçant de Plaisirs Therrien. Non mais ça fait-tu assez territorial? Je te prête mon micro mais j’ai pissé sur le siège?
Tenez, une nuance intéressante : vous voyez la différence entre «je lis le dernier Kundera» et «je lis le dernier Ricardo»? C’est ça. Aucun des romans de Kundera ne s’appelle Kundera, mais tous les magazines de Ricardo s’appellent Véro… euh Ricardo! C’est mêlant.
Honnêtement, Beethoven aurait eu l’air d’un sacré taouin s’il avait composé une symphonie éponyme. Et Michel-Ange, vous avez admiré sa fresque éponyme dans la chapelle Chapelle?
Bon. Parmi les artistes, il y a ceux qui se sont trouvé un nom d’artiste, un pseudo, comme on dit. Mais pour tous les autres artistes «éponymes», comme c’est juste leur nom de naissance, eh bien c’est leurs parents qui ont choisi la première moitié du nom de leur œuvre, et la seconde moitié vient de leurs ancêtres. Pas super créatif ça, mon champion…
À l’époque où on parle de différencier l’œuvre de l’auteur – allô Sylvain Archambault, Roman Polanski et toute la gang de vieux dégueux qui méritent pas leur talent –, pourquoi tu voudrais qu’une chose que tu as faite à un moment de ta carrière porte ton nom? Un CV, c’est pas j’ai fait ça, pis j’ai fait ça, pis j’ai fait ça, pis j’ai fait MOI, pis j’ai fait ça… Ah mon dieu, je peux pu rien faire! Cet album, C’EST MOI! Ma vie est finie, je me roule en boule et je me laisse mourir. Gilbert Fournu (l’album) me survivra! Meh. Loser.
Le pire, c’est qu’en musique, plein de gens que j’aime sont coupables d’éponymie, les salauds. Les Beatles, Jobim, les Beach Boys, Dylan, Blood, Sweat & Tears, Bowie, 10cc, Peter Gabriel (il en a même fait quatre, le bâtard!), Queen, The Clash, The B-52’s, Björk, The Cars, Pretenders, Gorillaz, Bebel Gilberto, et aussi plein d’artistes francophones mais j’ai pas trouvé de liste sur les interwebs… oui je sais, vous avez tous vos exemples, MAIS LES MIENS SONT MEILLEURS, OK?
J’haïs l’éponymie. Surtout que quand tu commets le crime d’éponymie, ta création te dévore et te vole tom nom! Parce que vous pouvez vérifier, on a le droit d’écrire : David Bowie, l’album du chanteur éponyme! Boum, c’est le chanteur qui est rendu éponyme! Pis quoi encore, son album va le poursuivre en propriété intellectuelle?
Pis vous avez remarqué? Personne n’en parle. Jamais une ligne sur l’éponymie. Nulle part. Pour moi, c’est clair : y’a des intérêts qu’ont pas intérêt.
Je suis vraiment pas étonné que dans Wikipédia, l’exemple qui sert à définir l’éponymie est le mot poubelle, qui vient du nom du préfet de la Seine, Eugène Poubelle, qui imposa l’usage de ce dispositif. ÉPONYMIE ÉGALE POUBELLE.
C’est pour ça que ce texte ne s’appelle pas Olivier Bruel. Rendez-moi service : tuez-moi à coup de micro si je crée une œuvre éponyme.