Pour la soirée de lancement de la 13e saison du Cabaret des auteurs du dimanche, j’ai lu un texte à saveur autobiographique sur le thème «nouveau». Tout est vrai.
Nouveau design, même saveur authentique
… Dans un éclaté jaune, juste au-dessus de la «suggestion de présentation».
Hum. Une fois n’est pas coutume, je vais vous parler de mon métier. Graphiste-slash-directeur artistique. Ou plutôt je vais vous parler de mes débuts, des premières années de ma brillante carrière, quand je travaillais pour un studio parisien spécialisé dans le design d’emballage ou, comme on disait avec notre accent à deux balles, le «paque-à-djing».
C’était au début des années 90, époque dont Frédéric Beigbeder s’est inspiré pour écrire son formidable roman 99F, sauf que lui, il bossait dans la pub. Le packaging, c’était la pub moins la coke. Nous étions des créatifs, nom masculin pluriel et prétentieux. C’est sûr que la double couche de pétage de bretelles et de parlage anglais comme des nuls, ça nous prédisposait à des créations é-pi-ques.
On ne faisait pas des emballages pour des produits de luxe, non, on faisait ce qu’on appelle du food : des produits de consommation quotidienne, des trucs jetables. Parfois tellement jetables qu’on avait envie de les jeter AVANT de les utiliser. À consommer rapidement. Meilleur avant le 14 juin, mais pas terrible quand même.
On ne parlait pas vraiment d’obsolescence programmée, mais on en programmait en tabarnouche!
À la décharge de ce laboratoire de créativité stérile, j’avoue que nous avions la chance d’évoluer dans un milieu rempli de néologismes et de termes rigolos comme appétance, blister, carton-plume, charette-bourre-bourre, matchprint, packshot, pétouille, revamping, rhodoïd, roughman, tête de gondole, ou encore vitrauphanie.
Cyniques, élégants et opportunistes, nous étions en quelque sorte des proto-hipsters. Moi-même, j’étais tellement en avance sur mon époque que je ressemblais à Xavier Dolan dès la fin des années ‘80. Cela dit, nous étions encore des artisans. Pas de techno dans les studios à cette époque. Eh oui, je vous parle d’un fucking temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Tout se faisait à la mitaine, c’était avant la macintoshisation du graphisme. Pour vous donner une idée, Steve Jobs était encore semi-pauvre et chevelu!
«Nouveau concept». «Nouveau segment». «Nouvelle tendance».
Au début, quand tu es nouveau dans le domaine de la nouveauté, tu te poses plein de questions de fond. Et puis tu comprends vite que les questions, c’est moins rentable que les réponses. Et que le fond, c’est moins vendeur que la forme.
Tout nouveau. Inédit. Révolutionnaire. La mayonnaise réinventée. Le dentifrice comme vous ne l’avez jamais vu. Le goûter du XXIe siècle. Incroyable : c’est une soupe! Un pâté qui se démarque de la concurrence. Médaille d’argent de l’Innovation 1992. Le futur est là.
Ça parait absurde, avec les yeux d’aujourd’hui. C’est tellement inconcevable, ce culte de la nouveauté! Par exemple, on n’imaginerait jamais en 2014 qu’un fabricant de téléphones intelligents sorte un nouveau modèle aux 18 mois JUSTE pour que les gens se débarrassent de l’ancien! Franchement!
Mes amis, la nouveauté tue l’intelligence.
Un exemple. Réel. La lessive. Le savon à linge. En poudre depuis nos arrière-grand-mères. Un jour, un fabricant de produits ménager lance triomphalement la lessive en tablettes, en blocs. Dosée en laboratoire, avec des p’tites strates bleues et blanches et des bords arrondis. Nouveauté. Que dis-je? Révolution! Succès instantané. L’année suivante, un concurrent sort la première lessive liquide, qui «pénètre votre linge quand les autres en sont encore à se dissoudre». Tu utilisais encore la lessive solide? AAAH! Loser. Ah… on m’informe à l’instant que la NASA travaillerait en ce moment sur un concept de lessive gazeuse. On n’arrête pas le progrès.
Un autre exemple? Le liquid paper. J’ai connu l’avant, quand tu devais soit choisir une encre pseudo effaçable et te munir d’un effaceur, soit gratter avec une lame de rasoir et finir à la gomme. Donc, arrive le liquid paper, alleluïa, on n’efface plus, on recouvre. On stratifie. L’étape suivante de l’évolution, vous la connaissez : le «Liquid Paper Dryline», une bande sèche qui se dépose proprement – parce qu’on ne se cachera pas que le liquid paper, c’était le champion des mottons et ça nous obligeait à écrire en 3D. «Liquid Paper Dryline», donc, qui peut se traduire grossièrement par «liquide… sec». Je vous laisse savourer le paradoxe sémantique.
Un autre exemple? Que faire quand le rayon biscuits est segmenté en 180 sortes différentes et qu’il n’y a que les grands-mères qui en achètent (pour tremper dans leur tisane)? C’est facile : tu copies les Américains, tu fabriques des biscuits non moulés, tu appelles ça des couquises et hop, les jeunes ne veulent plus rien d’autre! Nous, on concevait des packagings de cowboy pour le plus gros vendeur du segment : ça s’appelait Hello! et c’était fait à Nantes, Loire-Atlantique. Mettons que vu de Paris, ça pouvait passer pour le far-west.
C’était aussi l’âge d’or de l’eau en bouteille… dont on connaît aujourd’hui l’inutilité, à part pour ceux qui en vendent. Mais comment résister à toutes ces nouvelles formes «plus ergonomiques» et à ces nouveaux formats «sport», je vous le demande?
C’était pourtant bien avant que les constructeurs automobiles, ne reculant devant aucun risque, nous servent des versions réchauffées de leurs vieux succès : New Beetle, New Mini, New Fiat 500, bienvenue chez new. J’attends l’audace avec impatience. La New Ford Festiva? La New Pontiac Aztek? La New Lada 1600? Au lieu de nouveautés, on nous vend des remakes fades et vite démodés. Comme au cinéma, finalement. De mon temps, Superman il était pas en acier, il était en bobettes!
Bref, à vivre des tendances, on ne vit pas vieux. Quand on te vend de la nouveauté, c’est généralement que la qualité et la fiabilité n’étaient pas dans le briefing de départ. Quand tu achètes de la nouveauté, ça se périme vite. Et ce qui reste, c’est pas toujours du beau vintage. Oh. Que. Non.
Eh ben c’est ça qu’on me payait pour vous vendre. Un peu de nous, une tranche de veau : voilà du nouveau! Tellement de joie mes amis, tellement d’insouciance dans ces années-là, une vie en quadrichromie! Mais ça s’est arrêté quand j’ai été remplacé par un nouveau.