Lazhar et les mots

Article original publié dans Le Polyscope le 26 janvier 2007

ardoise

Attention : message! Cette pièce à un seul personnage n’est pas qu’une œuvre théâtrale, c’est un prétexte à lancer un débat sur les thèmes aussi chauds que l’immigration et l’éducation, mais aussi le courage, l’injustice et la violence. Écrit avant le 11 septembre 2001 et le récent sondage sur le «racisme» des Québécois, le texte d’Évelyne de la Chenelière n’a jamais été aussi brûlant d’actualité. Il raconte l’histoire de l’Algérien Bashir Lazhar, un professeur suppléant qui débarque au Québec dans une classe de 6e année, et du lien particulier qui va naître de cette rencontre.

Récompensée par plusieurs prix pour d’autres pièces, l’auteure bénéficie ces derniers temps d’une exposition assez rare pour une femme de théâtre. Il faut avouer que sa personnalité généreuse et son œil allumé en font une excellente ambassadrice de ce genre artistique en mal de public. Ce «faux monologue» n’est donc pas sa dernière œuvre en date, mais il prend une nouvelle vie sur scène après deux lectures publiques et quelques ajustements.

Tant qu’à proposer un «sujet de société», le Théâtre d’Aujourd’hui a décidé d’ouvrir la question en invitant de nouveaux spectateurs – principalement issus de l’immigration – et en ménageant une plage de discussion après chaque représentation. Évidemment, la tournure de ces échanges varie au gré des interventions du public, et selon les interlocuteurs : l’auteure, son conjoint et metteur en scène, Daniel Brière, le comédien, Denis Gravereaux. La constante, c’est que les spectateurs qui choisissent d’intervenir s’avouent touchés par le fond et la forme de cette œuvre «engagée».

Sur la scène, le dépouillement laisse place à quelques trouvailles, comme ce tableau noir vidéo qu’on aurait aimé avoir dans nos classes! Notons aussi que l’absence du «4e mur» permet au comédien de s’adresser par moments aux spectateurs comme à des élèves.

Mais fait-on du bon théâtre avec de bons sentiments? En faisant sa classe devant nous, Monsieur Lazhar ne nous prend-t-il pas pour des écoliers? C’est l’impression qui se dégage parfois de cette démonstration didactique de type «immigration 101» ou «la tolérance pour les nuls».

La grande faiblesse de cette pièce riche en vertu est d’être pauvre en émotion. Tout semble être là pour porter un message, tels Bashir, qui signifie «celui qui apporte la bonne nouvelle» et Lazhar, la chance. Devant nous s’exprime un faux arabe aux yeux bleus, à l’accent français et à la culture très «cours classique»… Bref, tout ceci manque «d’arabitude»! Dans cette fable sans réelle intrigue, le drame épouvantable qui se révèle passe comme dans du beurre, tant le jeu de Gravereaux effleure les choses. À force de retenue, la mise en scène évacue les aspects les plus poignants de l’histoire humaine, et le tableau noir, symbole de la liberté de «tout effacer pour tout recommencer», donne une impression d’éphémère.

À ses élèves, Bashir lit Le loup et l’agneau et pose cette question : «Est-ce en tentant de justifier son crime que le loup est devenu injuste?». On pourrait aussi se demander si c’est en tentant de rejoindre l’histoire universelle que Bashir Lazhar perd son âme propre…

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