En rassemblant des objets familiers pour constituer la banque de photos qui servira éventuellement à illustrer les articles de ce blogue, je me suis rendu compte que presque tous sont noirs. Ou métallisés (chromés ou brossés). Ce que j’ai dans les poches, sur mon bureau ou dans mon sac est dénué de couleurs.
Noirs, mon réveil, mon agenda, mon portefeuille, mon porte-cartes, mon cellulaire, mon écran, mon vélo, mon sac à dos, mon sac de taille, mon déodorant, mon lecteur mp3, mon micro, mon ampli, mon répondeur, mes appareils numériques, mes haut-parleurs, mes gants, mes bagages.
Métal, mon porte-clés, mon taille-crayons, mon pot à crayons, ma corbeille à papier.
Noir et métal, mon ordi, mon stylo-plume, ma montre, mes lunettes de vue et mes lunettes de soleil, ma souris, ma tasse à café, mes outils, mes écouteurs, mes patins.
Non, ce n’est pas une surprise, mais c’est un peu décevant. Pour un directeur artistique, c’est même un peu gênant, j’avoue. N’ai-je pas une responsabilité visuelle, un devoir de propagation du Beau? Ne devrais-je pas agir en prophète de la Couleur et prêcher par l’exemple?
Apparemment, non. Ou peut-être que oui, et j’échoue.
En matière de création, j’ai toujours cru à l’instinct, et le mien ne m’a jamais poussé à être une vitrine de ma créativité. À vue d’œil, je ne suis pas un excentrique. Récemment, une cliente sérieuse – dans le domaine bancaire – m’a confié que, quand elle avait appris qu’un directeur artistique interviendrait sur son mandat, elle s’attendait à voir arriver un type avec les cheveux rouges et des piercings plein la face. J’ai bien senti que je l’avais déçue.
Si mon instinct m’a parlé, c’était pour me conseiller de coller à mes préceptes philosophiques qui sont de s’adapter à l’environnement et de mettre mon énergie dans ce qui constitue ma raison d’être. J’ai donc opté pour une forme de neutralité d’apparence. Laquelle doit beaucoup au noir et au métal, par les temps qui courent.
Mon (non-)look est noir, gris, basique, sans débat. Et je n’ai pas l’excuse d’être un Monsieur qui s’«habille» pour aller au bureau, celui que Gotainer appelait costard-cravate et qui, dans ses moments de folie, combinait sa veste grise avec son pantalon marron. Non, je ressemble finalement à un geek sans originalité, post-ado éternel dans un t-shirt funny.
D’un autre côté, qui a dit que mon apparence devait être mon statement professionnel? Personne? Ouf.
Jeune adulte, j’avais même décidé de ne m’habiller qu’en bleu. C’était surtout un choix de facilité. Et, croyez-le ou non, j’ai tenu le cap plusieurs années avant de me lasser tout seul de cette contrainte imbécile. Pour finir par tomber dans le noir (et métal), comme une bonne partie de la population masculine occidentale (même celle qui n’écoute pas de métal).
D’où mon questionnement : aurions-nous collectivement peur des couleurs?
Anecdote. Il y a une douzaine d’années, je travaillais au 28e étage d’une tour au centre-ville de Montréal. Un jour d’été, alors que j’observais par la fenêtre cet environnement urbain de verre sombre, d’acier et de béton, j’ai vu une tache. Tout en bas de ce décor incolore, entre deux voitures grises, une Beetle rouge, insecte urbain vermillon dans un monde gris. Pour son – ou sa – propriétaire, le choix de la couleur était sans doute anodin. Je vais la prendre en rouge parce qu’elle est plus cute qu’en noir. Pourtant, un extraterrestre qui débarquerait dans ce quartier d’affaires et verrait cet objet inconnu en total contraste avec son milieu serait porté à s’interroger. Peut-être prêterait-il à cette chose un rôle symbolique fort ou même une fonction mystique. «Leur dieu est rond et rouge.»
Ben non, Chose, leur dieu est noir et métal.