Oui-Oui le quoi?

 

oui-oui

 

Ceux qui comprennent comprendront…

Roméo et Juillette

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Voici le texte que j’ai écrit pour le Cabaret des auteurs du dimanche ayant pour thème «juillet».

* * *

Ça s’intitule Roméo et Juillette. C’est l’histoire d’un amour impossible, avec désir, pouvoir, violence, sexe – ou pire : absence de sexe. Bill Shakespeare serait fier de moi.

Roméo était un costaud au cœur tendre. Juillette était une aristocrate bien chiante. Ils étaient voisins, mais leurs clans ne se parlaient pas. Évidemment. Avant même de se rencontrer, ils s’entendaient, ils se flairaient. Leurs cages étaient voisines, mais comme la cloison de séparation était en contreplaqué, il ne se voyaient pas.

Roméo était un peu mal parti dans la vie. Issu d’une lignée de fond de cour, il était une approximation d’American Staffordshire Terrier, et son premier maître l’avait choisi pour sa musculature prometteuse, alors qu’il était à peine sevré. Il l’avait appelé Roméo parce qu’il voulait un mâle alpha et qu’il s’y connaissait en voitures exotiques. Le petit Roméo grandit, mais, malgré les coups de bottes dans les côtes, il ne démontra jamais le caractère belliqueux qui aurait pu faire de lui le king des combats de chiens de Montréal-Nord. Il fut donc échangé contre un sac de pot à un autre jeune con qui se magasinait une attitude virile pour se faire remarquer de la gent féminine. Mais Roméo n’était pas compatible avec la parade nuptiale, et, par un beau 1er juillet caniculaire, il se retrouva dans la liste des objets qui ne déménageaient pas. Attaché à un poteau «cul de sac», dans une ruelle de Parc-Ex, comme un vieux divan plein de puces.

Au moins maintenant, au refuge, il avait droit à de la bouffe et à une sortie quotidienne.

Juillette, c’était une autre histoire. Levrette afghane avec pedigree certifié triple platine, elle avait coûté une petite fortune à son ancienne propriétaire. Mais tu peux pas acheter l’amour, comme disaient les Beatles, et tu peux pas acheter un bon caractère non plus. Juillette était un vraie peste. Quand elle ne mordillait pas, elle mordait. Tout le temps. Sans raison. Parce que. Elle voulait de l’attention. De l’exclusivité. Il fallait la brosser, la nourrir, endurer ses petits jappements secs et ses dents pointues. D’excellentes dispositions qui lui avaient valu un abandon de première classe, avec dépôt au comptoir et papiers dûment remplis. Même l’éleveur n’avait pas voulu la reprendre. Évidemment, les plaies encore vives sous des gants de chamois avaient aidé sa maîtresse à sortir du refuge sans un regard en arrière. Ensuite, Steve, le préposé aux abandons avait conduit Juillette à une cage nouvellement libérée, elle lui avait poliment mordu la main, et comme il avait plus d’aptitude avec les chiens qu’avec l’orthographe, il avait écrit «Juillette» au lieu de Juliette sur l’étiquette. Au moins, c’était de saison.

Juillette dans la 24, Roméo dans la 25. Il avait fallu attendre la fin de la mise en quarantaine de Roméo – qui avait attrapé des puces dans sa ruelle – pour que nos deux héros aient leur première sortie commune dans la cour du refuge. Roméo, qui n’avait jamais vu de femelle aussi alléchante, regrettait amèrement sa récente castration. La belle marchait la tête haute le long de la clôture, ses longs cheveux blonds brillant dans le soleil. Roméo fit ce que tout gentleman aurait fait devant une telle apparition : il planta son large museau dans la zone anale de Juillette et inspira un grand coup. Une vive morsure le sortit de sa rêverie romantique. Impériale, fraîchement stérilisée et mordante, elle lui avait offert un aperçu complet de sa personnalité.

Roméo se fit immédiatement un devoir de la conquérir, et lui servit d’ange gardien, en prenant soin de maintenir deux pas de distance pour échapper à cette mâchoire étonnamment vive. Juillette ne ressemblait à rien de ce qu’il avait connu dans sa vie de chien; il se sentait léger et vulnérable en sa présence.

C’est grâce à lui que la princesse du refuge échappa à l’intimidation des molosses de tous poils et à l’insistance déplacée des bâtards malpropres. Elle jouissait de ce privilège à sa façon, c’est-à-dire sans le moindre signe de gratitude. Pas un regard, pas une faveur, juste un coup de dents agacé de temps à autre. Mais son galant était patient et sentait que son destin n’était pas de croupir seul dans cette prison.

De retour dans sa cage, au fond de la section des oubliés, Roméo renouait avec la peine de ne plus voir sa belle et le réconfort de la sentir là, tout près de lui, alanguie contre la mince cloison qui les séparait. Il ne dormait plus que de son côté de la cage, prenant soin de ne pas bouger trop brutalement et de ronfler aussi sobrement que possible. Il savait qu’elle savait.

C’est cette attention constante qui finit par abattre les premières défenses de Juillette. Dans cet environnement sordide et anxiogène, personne ne se souciait d’elle, sauf le gros innocent de la cellule voisine. Pas question de lui céder quoi que ce soit d’autre que des jappements réprobateurs, mais il avait fait la preuve de sa dévotion, ce qui n’était pas rien dans ces circonstances. L’attitude du molosse avait aussi été remarquée par l’équipe des promeneurs bénévoles, trop contents de pouvoir sortir Juillette avec un autre chien sans que ça vire à la crise de nerfs. Roméo vivait leurs sorties dans la rue comme un privilège : il était le garde du corps vigilant et effacé qui laissait toujours la dame renifler en priorité les jets d’urine au pied des lampadaires.

Le temps passant, de nouveaux codétenus entraient, et d’autres, plus chanceux, gagnaient leur libération, assortie d’une maison, d’une famille et d’une médaille. Nos tourtereaux, eux, étaient toujours là. Juillette s’était vaguement attendrie dans le sens où elle mordait moins, et Roméo passait toutes ses nuits le sourire aux babines.

À nouveau, c’était juillet et sa nouvelle cargaison d’abandonnés. Il fallait libérer des cages. De toute façon, certains chiens ne seraient jamais adoptés, et la nouvelle loi Coderre contre les pitbulls simplifiait le tri. Il faisait un temps splendide le matin où Steve, le préposé aux abandons, vint chercher Roméo en lui parlant doucement…

Aux chiottes la pudeur

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Voici le texte que j’ai lu au Cabaret des auteurs du dimanche dont le thème était «pudeur».

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Tant qu’à se brasser la pudeur, je vais vous faire un aveu : je suis bi. Voilà, c’est dit. [soupir de soulagement] Eh oui, depuis 1999, je suis biculturel.

En général, j’évite les comparaisons entre la France et le Québec. Le «nous» contre le «eux», ça finit par être un peu réducteur pour nous, les Citoyens du Monde… On a vu ce genre de comparatifs sur plein de sujets, mais il y a un domaine qui constitue le tabou ultime : les chiottes. Bon, là, il a fallu que je choisisse un terme familier, alors c’est sorti en argot de France. Parce que là-bas, on a des dizaines de termes pour désigner ça : les chiottes, les vécés, les cabinets, les ouétaires closettes, les wawa, les gogues, la tinette… Au Québec, à part les bécosses quand c’est à l’extérieur, et le petit coin quand on est gêné, on a plutôt recours à un anglicisme simili-hypocrite : la salle de bain. De BAIN. Même sans baignoire ni douche.

Quand on voyage à l’étranger, on est toujours surpris de voir que les stratégies d’évacuation des fluides corporels sont d’une diversité infinie. Si vous êtes allés en Afrique du Nord ou au Japon, vous savez de quoi je parle. Mais revenons à notre petite comparaison sordide. Après 17 ans d’observation assidue des fonds de cuvettes, je suis enfin en mesure de vous livrer le fruit de mon étude de chiottes.

Ici, dans les habitations, la bolle est DANS la salle de bains. Pour plein de raisons, principalement hygiéniques, mais aussi parce qu’autrefois chez le petit monde, on gagnait de la place en regroupant tout dans une seule pièce. Quand on vit à 32 par chambre, on n’a pas d’espace à gaspiller. Résultat : une même pièce pour évacuer et se laver, et la garantie d’une loooongue période d’encombrement chaque matin, dès que le foyer compte plus d’une personne.

Alors qu’en France, le lieu d’aisance a une fonction inconnue des architectes d’ici. Celle de caisson d’isolement. Un cocon fermé où on se retrouve avec soi-même et le fruit de ses entrailles. Parce que s’il y a UN endroit où notre corps devrait pouvoir émettre bruits et odeurs sans jugement, c’est bien celui-là, non?

Pourtant, malgré une révolution pas mal plus tranquille que la révolution française, le Québec vit ses chiottes selon les standards nord-américains. C’est-à-dire collectivement.

Je m’explique. J’ai longtemps travaillé dans les tours à bureaux du centre-ville de Montréal. Ce qui m’a le plus surpris, ce n’est pas les cubicules beiges ni la variété de boissons dégueulasses que peuvent produire les machines à café. Non. C’est les… touélettes.

Je n’ai pas exploré celles des dames (je ne voulais pas subir le sort d’un transgenre en Caroline du Nord), mais je peux vous parler des men’s room. Mesdames, vous aller d-d-d-danser dans vos têtes!

Parce qu’au Québec, ça parle bizness. Les toilettes partagées ne sont pas faites pour s’isoler, oh boy non! C’est un lieu d’hypersocialisation. En plus des deux fonctions de base qui sont d’évacuer les excréments et d’aller jouer sur Tinder, l’endroit a été étudié pour que tu gardes un contact étroit avec le genre humain. Un contact visuel, sonore et olfactif. Et là, je ne parle pas juste des urinoirs sans la moindre ébauche de séparation, le genre qui te permet de vérifier d’un coup d’œil la hiérarchie des mâles de ton entreprise, argument en main. Non, je parle des cabines que je qualifierais de théoriques qui entourent chaque trône-à-crotte.

Là où l’Européen cherche un cocon, un endroit où la pression physique et mentale se relâche… le Québécois démontre une attitude résolument communautaire. Les cloisons des côtés commencent à 16 po du sol (ça fait 40 cm) et elles s’arrêtent à 6 pi 6 po (ça fait 2 m). De quoi investir la bulle de ton voisin de cuvette big fucking time! De quoi profiter des gargouillis de son estomac après le roteux du lunch. De quoi évaluer avec précision la fluidité de ses selles et le fumet de ses déjections. De quoi se bercer à la mélodie de son jet de pisse ou des flocs répétés de ses bombes. Vraiment une belle intimité. Et s’il est de grande taille, tu pourras même garder un œil sur son haut de tête et, avec beaucoup de chance, établir un eye-contact sensuel. Place à la bromance!

Et je n’ai même pas parlé de la « porte ». Oui, c’est une porte avec des gros guillemets de chaque côté. Le progrès nous a permis de garantir l’étanchéité absolue des bocaux de ketchup de nos grand-mères, mais une ostie de porte de chiotte jointive, c’est encore du domaine de la futurologie! Le bout de planche qui te permet de chier sans t’exposer à la moitié du service comptable de ta boîte n’est pas juste trop étroit, il a aussi un copieux dégagement dans sa partie basse qui, selon mes hypothèses, vise PREMIÈREMENT à informer le personnel sur la couleur de tes bobettes, et DEUXIÈMEMENT à permettre à une équipe de secouristes de pénétrer dans ta cabine au premier signe de malaise avec une civière et des bonbonnes d’oxygène. Tu ne mourras pas en paix, man. Pas ici.

C’est donc normal que dans ce bel espace à aire ouverte de style loft, on se jase du dossier X qui ne se conclut donc pas ou du client Y qu’a juste pas d’allure. Le lieu est sans tabous, sans pudeur et sans limites! Le brainstorming partage l’espace avec le gutstorming. Tout gargouille, éructe et éclabousse, au milieu des déclenchements aléatoires des chasses d’eau automatiques – parce que là-dessus aussi, l’humain a perdu le contrôle. Côté nasal, c’est un pot-pourri de savon parfumé cheap et de gaz gastrique. On sort de là avec l’impression enivrante d’avoir assisté à une réunion d’équipe les culottes baissées.

Maintenant, un petit sondage à main levée : qui fait des rêves récurrents où vous cherchez une cabine de toilettes qui n’est ni occupée, ni dégueulasse, ni ouverte sur l’humanité entière?

C’est ça.