Mise à jour papier

Article original publié sur GOREF le 13 mars 2008

pot de crayons

La blogosphère pullule de bonnes idées. Récemment, l’ami Émile, mieux connu sous le nom de Gérant d’estrade, proposait, avec la complicité de Mo, un beau défi blogistique : une mise à jour papier.

Feuille + crayon + inspiration + scanner/caméra numérique = du fait-main.

On me fera remarquer que le bateau est déjà passé : la date de publication était le 6 mars, soit le lendemain du YulBlog. Mais quand une idée est bonne, elle ne se périme pas! Et puis nous avons déménagé ce week-end, et impossible de se rappeler dans quelle boîte étaient les crayons…

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Sur le seuil de la petite pièce…

Article original publié sur Cent Papiers le 13 mars 2008
clé

Une maison immense, un escalier donnant sur un étroit couloir, et au fond, une porte. De quel côté de la porte se trouve la réalité? Il y a au moins deux façons de voir La petite pièce en haut de l’escalier, décrite par le TNM comme un thriller contemporain inspiré du mythe de Barbe-Bleue.

C’est d’abord un conte. L’histoire d’une jeune femme un peu naïve qui épouse un prince charmant éperdu d’amour et s’en va vivre dans sa grande maison. Le tableau idyllique compte une ombre : Grâce ne doit sous aucun prétexte s’aventurer dans la petite pièce en haut de l’escalier. Mettra-t-elle en péril son avenir conjugal pour assouvir sa curiosité? Y aurait-il une histoire si elle ne le faisait pas? Quel inavouable secret se cache derrière cette porte?

L’autre angle de lecture, infiniment riche, est celui de l’interprétation.

Il est clair qu’on ne nous raconte pas qu’une histoire. Une symbolique se construit peu à peu sur la fable, et c’est au spectateur d’y apposer sa grille d’analyse. À ce petit jeu, c’est peut-être les disciples de Freud qui seront les mieux nourris ! Comme Grâce et comme Henri, son mari, la maison préserve sa part cachée, troublante et mouvante, sur laquelle se projettent les non-dits du propriétaire et, accidentellement, un regard extérieur. Pour franchir la porte, la jeune femme au nom de princesse entre dans un processus qui ressemble à l’autohypnose. Cherche-t-elle à connaître son mystérieux époux, ou veut-elle plutôt se trouver elle-même et combler le vide intérieur qui l’habite ? En écho à ce fascinant cheminement, la multiplication du symbolisme rappelle les écrits de Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées) et les théories sur l’introspection.

Eut-elle 28 pièces, une maison n’est-elle pas une prison si on ne peut en visiter chaque recoin? Le parcours presque abstrait de l’héroïne mène naturellement à des questionnements sur la liberté, la volonté, l’amour, le désir, mais encore sur la réalité, l’autorité, le modèle maternel, la confiance, le secret.

Servie par un texte de Carole Fréchette en équilibre sur le fil du réel, la pièce bénéficie de la mise en scène inventive de Lorraine Pintal, qui cultive un onirisme singulier, au milieu d’un magnifique décor aux éclairages parfois sombres, parfois célestes.

Mais la démonstration serait creuse sans une interprétation à la mesure du projet. La composition lumineuse d’Isabelle Blais a été vantée par la critique ; soulignant avec raison le fait qu’elle porte la pièce sur ses épaules. Elle donne à Grâce un caractère emprunt de la fragilité d’une enfant et de la détermination d’une femme accomplie. Pour en saisir la mesure, il faut l’avoir suivie dans les monologues où elle parle et agit avec un léger décalage, comme la pensée précède le geste.

Chacun des autres personnages possède son niveau de jeu. Le mari semble chercher à se convaincre lui-même de la pureté de ses sentiments – à moins que ce ne soit le jeu un peu forcé d’Henri Chassé qui ne donne cette impression. Louise Turcot incarne avec conviction une mère poule qui n’aspire qu’à fuir son quotidien pour vivre par procuration le conte de fée de sa fille préférée. La sœur Anne du conte, campée par Julie Perreault, est tellement enracinée dans le concret, la méfiance et le cynisme que ses convictions paraissent aussi subjectives que les illusions de sa cadette. Quant à Tania Kontoyanni, elle campe avec justesse une domestique qui se cache derrière sa fonction comme derrière un paravent. La distribution compte un sixième rôle… dont la troublante présence ne doit rien au texte.

Paradoxalement, cette Petite pièce est une grande pièce…

Montreal Jubilation Choir : Groovy Christ!

Article original publié dans Le Polyscope le 11 février 2008

lunettes

Un quart de siècle! Déjà un quart de siècle que le professeur Trevor W. Payne, infatigable mentor aux excentriques verres fumés, incarne l’âme du Montreal Jubilation Choir. Pour une chorale gospel, vingt-cinq ans de résidence dans notre métropole laïque, ça se célèbre.

Natif de la Barbade, Payne fonde le chœur en 1982 avec l’aide de Daisy Peterson Sweeney, la sœur d’Oscar Peterson. Il s’agit alors de marquer les 75 ans de l’église Union United Church de Montréal, en compagnie de quelques pointures du jazz, dont Oliver Jones, Ranee Lee et Charles Biddle. Le concert est un succès immédiat, et la suite appartient désormais à l’histoire. Le Choir a enregistré une dizaine d’albums, collaboré avec Céline Dion, Foreigner, New Kids On The Block, Michael Bolton et Ray Charles, chanté pour Nelson Mandela et Elizabeth II, et s’est forgé une réputation qui dépasse très largement l’île de Montréal. Le bilan de ces vingt-cinq années se trouve chez tous les bons disquaires, comme on dit, sous la forme d’une compilation justement intitulée LOOKING BACK Volume 2. On y constate qu’après les incursions dans des territoires musicaux allant jusqu’au classique – un objectif discutable –, le répertoire s’est recentré sur ses racines noires : le gospel, bien sûr, mais aussi le jazz (mainstream et moderne), les musiques africaines, la soul et le rhythm’n’blues. Ça groove et on ne s’en plaindra pas!

À la question usée «faut-il être croyant pour apprécier cette musique?», empressons-nous de répondre qu’il faut en effet croire… en la musique! Le chef de chœur confiait lui-même à La Presse : «Je ne suis pas un prêtre, seulement un musicien. C’est drôle : à la blague, on a aussi surnommé Ray Charles the high priest».

Mais revenons à cette soirée, celle du 14 décembre 2007, pour être exact, et à cette église St-James fraîchement remise en valeur et pleine à craquer d’une foule ni particulièrement noire, ni particulièrement pieuse, venue communier sur l’autel universel de la musique soul. Pour faire entrer ce quart de siècle dans la légende, Payne a fait appel à quelques invités spéciaux, à commencer par le légendaire Oliver Jones, héritier du titre de pianiste phare du jazz local depuis que l’arthrite a ralenti les doigts d’Oscar Peterson. Dans les pièces instrumentales de la deuxième partie, Jones a réalisé le double miracle de compenser par son énergie l’absence des choristes et de jouer juste sur un piano désaccordé! Autres invités, la chanteuse classique Gwyn Beaver dans une déchirante version de Motherless Child, le chanteur-prêcheur Alan Prater, tellement inspiré qu’il n’en touche plus le sol, et, surtout, le Jubilation Big Band au souffle si puissant qu’on entend deux fois plus de musiciens qu’on n’en voit.

Dans leurs robes blanches et azur, les 38 choristes ont su offrir une performance à la hauteur de la réputation du chœur, ce qui n’est pas peu dire. La sonorisation, c’est vrai, les «enterrait» un peu derrière les instruments, donnant une dimension d’autant plus appréciable aux pièces a cappella. Les solistes faisaient preuve de solides qualités vocales derrière l’attitude nécessairement réservée du choriste propulsé à l’avant-plan le temps d’une chanson.

Depuis Highway to Heaven, l’introduction traditionnelle du Choir, jusqu’au rappel – l’incontournable medley de Noël, l’église résonnait de ce mélange d’application et du groove si prenant qui caractérise les meilleurs chœurs gospel. Alors, quand Trevor W. Payne a fait mine de congédier ses choristes pour faire monter le public sur la (petite) scène, les candidats se sont bousculés pour aller hurler un Glory Train pas très catholique!

Merci encore, Professeur! On se revoit à Noël… pendant les vingt-cinq prochaines années?

Elizabeth, Roi d’Angleterre

Article original publié dans Cent Papiers le 24 janvier 2008

piece

On ne réchauffera pas ce rude hiver avec une pièce élisabéthaine, mais il se joue au TNM une pièce en costumes à saveur sexuelle!

Elizabeth, roi d’Angleterre est l’une des dernières œuvres de l’auteur ontarien Timothy Findley, disparu en 2002. Il s’agit d’un amalgame inattendu mais très cohérent entre un drame classique et un questionnement sur l’identité sexuelle, sur fond d’intrigue politico-sentimentale. Autant le dire tout de suite, cette longue scène sans entracte est tout sauf un lieu où l’on s’exhibe. Elle prend place en Angleterre, pendant une longue nuit de 1601, alors que le Mardi Gras se transforme en Mercredi des Cendres, dans une grange à la fois fastueuse et dépouillée.

Ultime représentante de la dynastie des Tudor, Elizabeth I (Marie-Thérèse Fortin) est dans les derniers milles de son long règne : elle mourra deux ans plus tard en «reine vierge», sans laisser de descendance. Pour se donner quelques repères historiques et mesurer l’humanité du personnage, on précisera qu’elle est la fille du roi Henri VIII – qui exécuta sa mère -, qu’elle a fait décapiter Mary Stuart, sa cousine catholique, et qu’on lui connu quelques amants mais aucun mari. Celle qui avait coutume de faire référence à elle-même comme à un «Prince d’Europe» a pourtant conduit l’Angleterre vers l’un des essors les plus marquants de son histoire.

Face à cette figure autoritaire, un William Shakespeare (Jean-François Casabonne, sans panache) dans une phase de création toujours foisonnante, mais assombrie par la dégénérescence monarchique, de même que par la mort de son fils, puis celle de son père. Plongé dans l’écriture de plusieurs pièces – dont l’emblématique Hamlet – le grand Will puise dans les amours contrariées d’Elizabeth et du comte d’Essex la matière première de son Antoine et Cléopâtre. C’est du moins la proposition de l’auteur.

Mais Shakespeare est pratiquement réduit à l’état de témoin, car c’est un de ses comédiens qui révélera le trouble qui habite l’âme de la reine. Il est bon de préciser que, dans la tradition du théâtre élisabéthain, les hommes jouent tous les rôles, même féminins. Le personnage de Ned Lowenscroft (René Richard Cyr), acteur qui incarne des femmes, confrontera donc Elizabeth, monarque qui s’incarne en homme.

La vraie surprise de cette pièce de facture plutôt classique, c’est de découvrir derrière une Angleterre réputée puritaine un monde où règne l’ambiguïté sexuelle. Des acteurs en robes et en faux-culs, des libertins sans tabous, une souveraine en quête d’émois, le tout sous la menace de la syphilis, métaphore de l’éternelle maladie d’amour.

René Richard Cyr, qui avait réalisé la télésérie Cover Girl, trouve ici une surprenante redéfinition de la drag queen ! Il n’en tire pas moins un plaisir évident à se mettre en scène dans le rôle d’un acteur à l’androgynie assumée et aux attirances troubles.

Inutile pourtant de chercher le frisson polisson : Elizabeth est une pièce sérieuse et tourmentée, une œuvre tellement axée sur le texte que l’action en est presque absente. Pour contrebalancer cette austérité littéraire, les costumes virevoltent, les visages se poudrent et les éclairages flamboient dans le style typique du Nouveau Monde. Mais si par malchance vos sièges sont loin de la scène, il vous faudra quand même faire preuve d’une certaine concentration pour entrer dans le jeu. Enfin, pourquoi doit-il y avoir en permanence tant de personnages sur le plateau, alors que ne se débattent que des causes intimes?

La figure glaciale de la souveraine émerge avec d’autant plus de force que Marie-Thérèse Fortin lui insuffle une autorité précise, palpable. Il était temps que cette comédienne de talent prenne le devant de la scène à Montréal, et il est surprenant que cela ne se produise pas au Théâtre d’Aujourd’hui, dont elle est à la fois codirectrice et directrice artistique. Caprice de reine?

Mascottes 2010

Article original publié dans Œil pour œil le 4 décembre 2007

mascotte

Le comité des Jeux Olympiques de Vancouver 2010 vient de dévoiler une… non : TROIS mascottes pour les Jeux !

Respectivement nommées Quatchi, Miga et Sumi, ces mascottes sont présentées sur le site officiel, et le texte – traduit à la va-vite – nous en apprend beaucoup : «On a suivi une méthode au cours de ce processus de création en folie pour en arriver à des petites créatures si imaginaires» (sic).

Ces créatures «cutes» semblent tout droit sorties de l’univers enfantin cher aux designers japonais, ce qui devrait au moins, mondialisation oblige, permettre leur appropriation par les enfants des cinq continents…

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Michel Tremblay : Que reste-t-il du vrai monde?

Article original publié sur Cent Papiers le 16 novembre 2007
patate

Le joual légendaire de Michel Tremblay revient faire vibrer les planches de la Place des Arts, et c’est le Tremblay qui confronte, celui qui dessine le gouffre des générations et questionne les fondements de la création théâtrale. Le vrai monde? n’en est qu’à sa troisième vraie mise en scène mais fait figure de classique, de pièce maîtresse de la dramaturgie d’ici.

René Richard Cyr signe avec ce drame familial sa cinquième mise en scène d’une œuvre de Tremblay. À une journaliste de La Presse, il confiait malgré tout que «faire une mise en scène, c’est un peu comme essayer d’assembler un puzzle sans avoir l’image sur le dessus de la boîte». Cyr avait l’expérience et la naïveté nécessaire pour faire de ce vrai monde un portrait à la fois universel et personnel, lui qui a atteint l’âge du père mais s’identifie immanquablement au fils… De fait, sa mise en scène s’engage et prend parti en appuyant certains angles et en glissant sur d’autres. Dans un décor d’époque baigné d’une lumière verdâtre, les personnages se dessinent au fil de leurs affrontements, et la force du texte s’accommode parfaitement de ce plateau dépouillé.

Toutefois, il faut reconnaître que des dialogues forts ne sont rien sans une interprétation sentie, et c’est à ce chapitre que le cru 2007 prête le flanc à la critique. L’affiche est alléchante et aligne, comme souvent chez Duceppe, une enviable collection de talents, dont certains prennent le risque du contre-emploi. Si Normand D’Amour survole littéralement la distribution par sa présence charismatique, d’autres comédiens peinent à habiter leurs personnages. Mentionnons Bernard Fortin, dont le manque de coffre rend son rôle de mari flamboyant et volage peu crédible, et Marie-France Lambert, qu’on a déjà vue plus à sa place que dans les chaussons d’une femme soumise et peu éduquée. Il faut dire à sa décharge que l’interprétation mémorable de Rita Lafontaine rend le personnage de Madeleine lourd à endosser. L’intensité n’est pas toujours au rendez-vous, et on se surprend finalement à n’avoir pas été plus touché par ce naufrage familial.

Drame intimiste, Le vrai monde? est aussi une œuvre sociale. À première vue, il traite de thèmes personnels, tels que les tensions entre les jeunes adultes et leurs parents, les secrets de famille, et la difficile communication entre proches. Puis, grâce au personnage de Claude, intervient la difficulté à transcender le réel pour donner naissance à une pure œuvre théâtrale. Enfin, la pièce évoque la lente entrée des familles québécoises dans l’ère moderne, la fin du patriarcat archaïque, le droit à l’épanouissement et la place de l’individu dans la révolution culturelle en marche.

Cette nouvelle mouture marque enfin le passage d’une nouvelle génération sur Le vrai monde?. Dans le souci – honorable – de coller à l’époque de la pièce, les sept comédiens se transportent dans la génération de leurs parents pendant que les costumes appuient les références aux sixties. Il en résulte ce petit côté folklorique dont les mises en scène d’André Brassard étaient bien sûr dépourvues. Ce phénomène semble créer une légère distanciation par rapport au drame qui se joue, au détriment de l’intensité émotive.

Vingt ans après sa création au Centre national des art, que reste-t-il dans la vraie vie de ce vrai monde?

Coral Egan, lancement de Magnify

Article original publié dans CentPapiers, le 3 octobre 2007

Magnify

Au soir du lancement de son nouvel album, Coral Egan a dû s’accommoder d’une laryngite fort mal venue. Mais laissez-moi vous dire que, même avec un gros matou dans la gorge, la belle a encore assez de voix pour vous donner des frissons!

D’ailleurs de quelle meilleure façon aurait-elle pu présenter cet opus qu’en lui donnant vie sur scène ? Ce concert intime était une occasion unique de savourer ces compositions fraîchement gravées… C’est un certain Michel Rivard qui s’est d’abord saisi du micro, présentateur improvisé et fan avoué de la chanteuse. Il a bon goût, Rivard, et il n’a pas oublié la savoureuse version d’Un ange gardien que la jeune femme lui a offerte sur l’album Beau d’Hommage.

En peu de mots, mais dans les deux langues de son Montréal natal, Coral Egan a accueilli son public, parlé musique, présenté son équipe, et… remercié son bébé! C’était en effet une nouvelle maman rayonnante qui lançait ses titres avec générosité, passant du piano à la guitare avec un naturel déconcertant, laissant de l’espace à son stage band composé de Sam Harrison (batterie), Al Bacculas (basse électrique), Jay Atwill (guitares, voix), et une choriste-pianiste dont le nom m’échappe.

Chanteuse depuis son passage au Festival de Jazz à l’âge de 11 ans, Coral Egan n’est plus aujourd’hui «la fille de Karen Young» : c’est une musicienne reconnue par le public et – peut-être plus encore – par ses pairs. Son précédent album, My Favorite Distraction, avait révélé son timbre enjôleur et son exigeante musicalité, et c’est ce sillon que prolonge Magnify, toujours produit par le saxophoniste touche-à-tout Charles Papasoff. Cette femme-là n’a pas fini de nous toucher de sa voix féline, par ce son qui saura convaincre les plus blasés… «Everything I do gonna be funky from now on, yeah», lance-t-elle ! Et, en effet, on sent monter une pulsation nouvelle, très présente dans les pièces Why Not, Invitation ou dans le magnifique morceau-titre aux accents gospel.

À l’image de sa ville, Coral refuse le purisme d’un jazz fermé et donne à sa musique une saveur bien plus large, une sorte de melting-pop acoustique à la liberté contagieuse. Simplement Magnify