J’ai publié l’article original sur GOREF le 2 mars 2007. Ce blogue ayant été récemment débranché, j’ai obtenu l’autorisation de remettre l’article en ligne ici même – en mettant à jour ce qui ne l’était plus.
Parmi les enjeux de la création graphique d’un site Web, le choix des couleurs est un gros morceau. On a beau dire que «les goûts et les couleurs ne se discutent pas», il s’agit bel et bien d’un aspect majeur de l’appréciation intuitive de l’internaute. Il faut donc faire les bons choix, et comme aucun mode d’emploi n’existe, voici quelques points à considérer pour que client et designer soient contents.
La couleur est une science. Mais rien ne vous oblige a être un expert, car c’est surtout une histoire de perception. Si la théorie vous intéresse (et vous avez du goût !), voici une très bonne synthèse en français de la colorimétrie, calibration et autres chromatismes. Plus concrètement, la notion d’harmonie prédomine : le but est quand même de générer une réaction positive plutôt qu’une grimace de dégoût!
Les contrastes mènent le bal. Sommairement, les couleurs sont définies par leur teinte et leur luminosité. Un truc que j’ai mis au point : coupler deux couleurs complémentaires. J’utilise une dominante sombre et je la stimule par des touches vives, opposées dans le cercle chromatique. Exemples : bleu foncé et orange vif ou pourpre et vert pomme.
Ni trop, ni trop peu. Sauf exception, un site Web monochrome (bâti sur une seule dominante) paraîtra sans relief, sans intérêt. À l’inverse, un site bariolé risque de brouiller l’attention du visiteur et de donner une fâcheuse impression d’incohérence. Conclusion : la pauvreté lasse et l’excès fatigue !
Le noir et blanc : une exception. Qu’ont en commun cette peinture rupestre, cette gravure d’Albert Durer, la première photographie et le prix World Press Photo 2007 ? L’indémodable esthétique du noir et blanc, tellement incrustée dans nos rétines qu’on en oublie l’absence de couleurs pour savourer la force des nuances. L’austérité du rendu concentre la puissance visuelle, ramène les formes à leur essence, et dégage un parfum intemporel. Bien exploitées, les 256 nuances de gris perceptibles par l’œil humain s’harmonisent avec (presque) tout.
Aucune couleur n’est à bannir. Mythe : certaines couleurs marchent, d’autres, non. Croire à cet adage vous conduira immanquablement à produire des sites tous semblables, et on connaît quelques exemples d’entreprises qui ont bâti une image de marque forte sur des couleurs maudites! Saviez-vous qu’avant l’arrivée de Kawasaki en compétition motocycliste, le vert portait malheur sur les circuits? La marque a adopté un vert pomme impossible à ignorer… et a remporté quelques championnats du monde (quoique là, c’est peut-être aussi une question de pilotage)… Amis européens, connaissez-vous l’origine de l’étrange ocre-jaune-tabac de la Fnac? À ses débuts, cette «fédération d’achats» disposait d’un budget de fonctionnement rachitique, et le choix de couleur s’est naturellement porté… sur l’encre la moins chère! 50 ans plus tard, cette couleur sans nom traverse les modes et symbolise la vision originale de cette entreprise à saveur culturelle.
Créez l’accoutumance. Conclusion logique du point précédente : choisir la même couleur que le concurrent est peut-être rassurant, mais c’est en vous démarquant que vous aurez le plus de chance de laisser votre marque. Difficile à vendre, je le reconnais, mais ça vaut la peine d’essayer !
Gris n’est pas la couleur neutre. En Web, à moins d’avoir une bonne raison, oubliez les aplats de gris. Sinistres. Si vous voulez jouer la neutralité, que vous cherchez à construire une interface rassurante, choisissez un bleu foncé. C’est la couleur qu’on « ressent » le moins. C’est aussi la seule qu’on ne peut pas haïr : ne vous demandez plus pourquoi tant de banquiers, d’assureurs et d’administrations l’ont adoptée !
La mode a sa place, le classicisme aussi. Si votre démarche de conception commence par la question « quelle est la couleur à la mode cette année ? », soyez conscient que votre design sera aussi éphémère qu’un défilé de mode. Il est crucial de mesurer le positionnement visuel de votre site sur l’axe originalité vs. confort. Disons que si vous vendez des skateboards extrêmes à Los Angeles, votre public sera plus sensible à l’immédiateté que si vous proposez des assurances pour les ainés !
Nothing is the new black. Noir, c’est noir, et les chats ne sont pas des chiens. En un mot, ne suivez pas aveuglément les gourous de la tendance : ils sont payés pour vous embrouiller. Les courants passent, mais l’inspiration ne s’use jamais. Et si le secret du webdesign tenait en un mot, il serait connu (peut-être même que je vous le dirais).
N’ayez pas peur du noir. Un fond de page blanc ne fait bondir personne. C’est une solution tellement éprouvée que 95 % des contenus texte sur l’Internet se présentent ainsi. Un fond noir, c’est autre chose. Un danger, une angoisse qui surgit de la petite enfance, comme un monstre du garde-robe. Pourtant, une page noire peut être un écrin qui mettra en valeur des images, par exemple. Le noir aspire la lumière et fait briller ce qu’on y pose, c’est pourquoi tant de photographes, d’illustrateurs, de designers et de peintres lui confient leur portfolio.
Vos couleurs peuvent vivre sur le Web. Le client dont vous concevez le site possède déjà ses couleurs « corpo » ? Au moins un logo ? Exploitez ce patrimoine graphique ! Je ne dis pas que si le logo est rouge, le site sera rouge, mais que les couleurs préexistantes ne doivent pas être ignorées. On a déjà vu des sites d’entreprise où le logo semblait être un intrus. Dommage.
Le message d’abord. Avez-vous quelque chose à dire ? Assurez-vous donc que l’internaute puisse le lire ! En plus de votre capacité d’observation individuelle, certaines études ont été menées pour déterminer les associations de couleurs à favoriser ou à éviter pour maximiser la lisibilité.
La couleur hiérarchise l’information. Un fond coloré donne à son contenu une certaine force, selon sa luminosité (mais pas forcément du clair au foncé) et sa saturation (généralement du terne au vif). De la même façon, il est impressionnant de voir comme la teinte d’un texte peut le détacher du reste du contenu.
Web safe is out. Ou, formulé positivement : en 2007, 16 millions de couleurs sont « web safe ». OK, c’est beaucoup trop, votre œil n’en perçoit que 32 000. Le nombre de couleurs utilisables en Web n’est donc plus vraiment limité par la capacité logicielle, mais plutôt par la perception optique humaine. Si votre client était une mouche, ce serait très différent…
Les laptops sont daltoniens. Soyons réaliste : une proportion grandissante d’internautes naviguent sur un ordinateur portable. Et sur la grande majorité de ces diaboliques machines, on ne perçoit correctement les couleurs et les contrastes qu’en se positionnant au pixel près sur l’axe perpendiculaire à l’écran. Et encore. Faut-il brûler les laptops ? Oui Non, mais on gardera à l’esprit que le subtil dégradé sur lequel on a passé deux heures sera invisible pour certains.
À chacun ses goûts. Je sais, c’est un peu paradoxal de finir comme ça, mais on ne doit pas oublier que toutes les théories ci-dessus trouvent leur limite dans l’aspect intuitif de la perception. Préparez-vous à des commentaires de type « j’aime pas le vert », voire même « eurk ! ». Alors si le client n’achète pas votre « fuschia néodécadent », vendez-lui autre chose…