Tout nu l’hiver

Article original publié sur Le Polyscope le 27 octobre 2006

brosse à neige

Bonne nouvelle pour le jeune théâtre québécois : une auteure est née, et si elle tient les promesses de Couche avec moi (c’est l’hiver), elle ira loin. Fanny Britt, qui n’a pas 30 ans, a accouché d’un texte mordant, plein de punch-lines et de clins d’œil au spectateur. La recette de base est imparable : des thèmes quotidiens abordés avec assez d’intelligence pour leur donner une portée universelle, une intrigue qui va crescendo, une mise en scène inventive – signée Geoffrey Gaquère -, et une direction d’acteurs tellement affûtée qu’on en oublierait que tout est écrit à l’avance. Comme on n’est pas dans un spectacle de marionnettes, on nous sert une gang d’excellents comédiens, et, ultime bénéfice, tout ceci nous est présenté sur l’un des plus beaux plateaux de théâtre en ville. Imparable, je vous dis.

Couche avec moi (c’est l’hiver) est un «drame urbain» qui met en scène cinq personnages en quête de sens dans l’hiver montréalais. Avec maladresse, ils tentent de rendre leur existence un peu plus conforme à leurs fantasmes existentiels. Selon l’auteure, ils «se divisent en deux grandes catégories d’êtres humains : les déçus (et potentiellement déçus) et les décevants (et potentiellement décevants). Ils sont seuls et assoiffés de contact. Pleins du désir des autres et entièrement étrangers à leurs propres désirs. Ils sont menteurs. Ils sont fatalistes. Ils sont à pleurer. Je les aime comme on s’aime soi-même, c’est-à-dire par pitoyable narcissisme, et avec une formidable envie d’autodestruction». Ça vous dit quelque chose? Vous allez vous sentir beaucoup moins seul!

La pièce propose une vision impitoyable de la génération des 25-35 ans, avec ses envies refoulées, ses rapports aux autres biaisés, sa libido encombrante et pas toujours assumée. Dans ce monde en dérapage, nul n’est désiré par celui qu’il désire, personne n’est satisfait de ce qu’il a. Il y a dans cette histoire autant d’humour que de violence, et les actions des personnages renvoient à des thèmes qui nous concernent tous. Le sexe et le rôle qu’on lui accorde, le culte de la célébrité, le voyeurisme et l’exhibitionnisme, la vanité, le matérialisme, le pouvoir, la manipulation des médias, l’incommunicabilité, la perception de l’autre comme un obstacle, l’hiver qui s’éternise…

Le grand mérite de l’écriture de Fanny Britt est de planter des personnages un peu plus grands que nature sans en faire des clichés ambulants. Il y a Suzanne (Éva Daigle, bouleversante), la future «matante» qui ne veut que ce que les autres veulent. Pierre, son «fiancé» (Stéphan Allard, parfait), archétype du Quebecus Mollus sans envergure. Millie (Ansie St-Martin, glaciale), la sœur de Pierre, retranchée dans son appartement du Plateau. Seul personnage venant d’ailleurs, Gillian (Julie McClemens, très juste), une psychologue britannique dont la présence si loin de chez elle s’expliquera à la fin. Enfin, il y a Marc-André Hébert (Martin Laroche, électrisant), le catalyseur de ce petit monde. Clone charismatique de Patrick Huard, Hébert est un humoriste mégalo dont le dernier projet artistico-médiatique va précipiter l’intrigue en poussant chacun à dévoiler son «animalité»…

Il faudra pelleter profond pour trouver de réels défauts à cette production très maîtrisée, saluée par une ovation méritée… À voir impérativement avant l’hiver!

Rivard en limo

Article original publié dans Le Polyscope le 20 octobre 2006

volant

Michel Rivard et l’OSM, Salle Wilfrid-Pelletier, le 13 octobre 2006.

Michel Rivard et l’Orchestre Symphonique de Montréal. Que peut-on attendre d’un chansonnier qui s’appuie sur un grand orchestre classique pour redonner du lustre à un répertoire plutôt sage? En terme de surprise, pas grand-chose, en effet. En terme de «confort auditif», par contre, l’individu a su livrer sa marchandise avec conviction, et ses habits symphoniques lui faisaient un fier costume.

On ne va pas voir Rivard pour autre chose que pour lui-même, dans le sens où on n’exige pas d’être surpris. Il était donc là, devant un public conquis d’avance, fidèle à son image.

Rivard l’a avoué tout de go : chanter avec l’OSM, c’est comme redevenir le ti-cul de Villeray qui grimpait sur les genoux de mononcle pour faire un tour de Cadillac. Une sacrée grosse limo, en fait, et l’homme a l’élégance de toujours faire rejaillir le mérite sur les autres, même quand c’est lui qui tient le volant. Ce qui nous mène à la vraie question : est-ce un concert classique déguisé en musique pop ou un concert pop à la sauce classique? Disons que le fond est constitué de pure chanson populaire, seul l’enrobage étant symphonique. Et encore… Les arrangements de Blair Thompson semblent avoir pour mission d’exploiter au maximum la polyvalence de l’orchestre. On a donc droit à des moments planants, à de vertigineuses montées en puissance, à des passages étonnamment dépouillés, jusqu’à des univers sonores dignes des compositeurs contemporains. Ce parti pris très ouvert rachète largement les limites de l’orchestre : cette grosse machine d’une soixantaine de musiciens et neuf choristes n’a pas la vélocité d’un pick de guitare ni d’un drum! En revanche, l’OSM et son pétillant chef Jean-François Rivest ont démontré que le swing était à leur portée en livrant une version «big band» de Tout simplement jaloux et une vision très «film noir» du Privé.

Quinze chansons, c’est assez pour prendre la mesure des «Week-ends Pop de l’OSM». Homme à tout faire, Rivard a choisi de rassurer son auditoire avec un choix de titres assez prudent – et même prévisible, si on pense à l’incontournable Phoque en rappel! – pour mieux le surprendre en étrennant une nouvelle chanson.

Cré-moé, cré-moé pas, une belle ballade en Cadillac dans un univers musical familier avec un vieux chum pour vous dégêner, ça ne se refuse pas.

Politiquement fade

Article original publié dans CentPapiers le 4 octobre 2006

CCI
Chaque jour, notre société s’aseptise un peu plus et, sous prétexte de respecter chacun d’entre nous, sombre dans le politiquement correct.

Chez nous, pas d’aveugles, pas de balayeurs, pas d’infirmes, pas de chômeurs, pas d’obèses, pas de vieux, pas de cancres. Seulement des non-voyants, des techniciens(nes) de surface, des personnes à mobilité réduite, des chercheurs(euses) d’emploi, des personnes en surcharge pondérale, des séniors et des élèves en situation d’échec scolaire. Dans le même élan, les camarades de classe de ma fille sont devenus des “amis”. Même ceux qu’elle n’aime pas.

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La souveraineté expliquée aux Français

Article original publié sur CentPapiers le 28 juin 2006

chasse-galerie

Je suis un maudit Français de la pire espèce : un Parisien qui habite le Québec. Depuis sept ans. Sept ans de réflexion qui m’ont permis de m’instruire sur ce pays, son passé, son présent et ses plans d’avenir.

Aujourd’hui, je suis un souverainiste convaincu, et je pense que sauf en me cachant dans un trou – Westmount? -, il ne pourrait en être autrement.

Je discute souvent avec des Français nouvellement installés ou simplement de passage au Québec, et je m’aperçois qu’il est difficile de défendre ce point de vue d’une manière claire et concise. Mais cette fois je crois que j’ai trouvé.

* * *

Tu es Français. Si je te demandais si tu es pour ou contre l’idée de fusionner la France et l’Allemagne pour bâtir un pays plus fort, tu me répondrais que c’est absurde, que les Français et les Allemands n’ont rien en commun. Posons-nous donc les bonnes questions.

Qu’est-ce qui rapproche la France et l’Allemagne ?

  • Une frontière commune
  • La monnaie
  • La volonté de vivre en paix

Qu’est-ce qui sépare la France et l’Allemagne ?

  • La langue
  • L’histoire
  • Plusieurs conflits historiques
  • La littérature
  • Le cinéma
  • La musique
  • Les autres formes de culture
  • La mentalité, les valeurs
  • Le mode de vie
  • Les choix de société
  • Les orientations politiques

Cette liste n’est ni scientifique ni complète, mais elle me semble assez honnête.

Maintenant, remplace «France» par «Québec» et «Allemagne» par «Canada», et tout reste vrai. Est-ce que ça répond à ta question «pourquoi défaire ce beau grand pays»?

La souveraineté n’est pas une question de haine ni de vengeance, c’est l’adaptation des structures politiques à une réalité culturelle quotidienne : le Québec et le Canada SONT deux pays différents.

« Je pète. »

Article original publié sur CentPapiers le 23 juin 2006

mouche

« Je pète. Je pète beaucoup, souvent et longtemps. Je pète du matin au soir et même au lit, c’est un vrai bonheur. La meilleure façon pour moi d’être bien dans mon corps. Mes pets sont insonores mais très odorants. Un puissant remugle de chou fermenté mêlé d’un relent d’excréments et d’une touche de putréfaction animale.

Pendant des années, j’ai perfectionné mon art de la flatulence avec mes amis. Oui, mes amis pètent aussi et nous gazons souvent en groupe, socialement. Dès l’adolescence, nous avons fait nos premières armes. Comme tant de jeunes, nous attendions fébrilement la fin de l’école pour nous rassembler par petits groupes, l’air complice, et péter ensemble pendant des heures. »

[suite]

 

Magnolia, fleur vénéneuse

Article original paru dans VOIR le 22 décembre 2004

Magnolia

Ça y est! Au deuxième visionnement, c’est confirmé : Magnolia vient de prendre la première place dans la liste de mes films préférés, tous genres et toutes époques confondus!

Cette œuvre est emblématique d’un renouveau du cinéma en général, et du cinéma américain en particulier. Un jeune cinéaste méconnu prouve en trois heures qu’on peut faire appel à l’émotion du spectateur sans jamais cesser de parler à son intelligence ni utiliser de « recette » cinématographique. Qui plus est, il le fait par surprise, avec une distribution qui mélange les stars à contre-emploi (Cruise, Moore) et de magnifiques inconnus.

Comme pour d’autres films de cette nouvelle génération – celle de Charlie Kaufman et des frères Cohen – c’est l’imagination qui prime. Une bonne histoire, bien tordue et bourrée de ces sentiments contradictoires qu’on craint tous de connaître un jour, une direction d’acteurs époustouflante, des comédiens qui prennent plaisir à se dépasser, des images qui se gravent dans nos mémoires, une musique envoûtante, et surtout, un jeu subtil avec notre esprit et nos émotions.

Absurde, difficile et inattendu, Magnolia est un film-fleur qui ne plait pas à tout le monde. Moi, j’ai été tout simplement transporté.

Les Triplettes de Belleville : absolument triplant!

Article original publié dans VOIR le 29 mars 2004

klaxon

Je me joins à ce concert de louanges car, qu’on soit sensible ou non au langage particulier de Sylvain Chomet, on ne peut qu’être admiratif devant l’homogénéité et l’originalité de ses Triplettes.

Avec d’autres réalisteurs trop discrets, il ouvre la voie à une animation « non-disneyenne » qui joue sur une esthétique, un ton, une couleur très particulière. Ce film vaut beaucoup par ses innombrables références culturelles – dont beaucoup sont basées sur la France des années cinquante-soixante – ce qui donne un charme nostalgique mais pas rétrograde.

Certains pourront trouver déprimant cet univers sépia sans ciel bleu ni gentil-lapin, mais ce que propose cette œuvre a un nom : la poésie. La capacité de donner vie à une vision personnelle, de donner chair à des personnages pas vraiment conventionnels, de donner corps à des lieux étranges, de donner un sens à des histoires absurdes et drôles.

Contrairement à ce qui a été écrit, les artisans de ce dessin animé ne se sont pas privé d’utiliser l’ordinateur pour mettre en mouvement ce petit monde. Les scènes de navigation prennent un relief étonnant, et tout ce qui roule, flotte ou vole acquiert une dimension très réelle…

La trame sonore, mêlant adroitement la musique de Ben Charest, les bruits et les voix, renforce le sentiment d’immersion dans cette histoire hors du temps, et c’est amusant de voir que l’inattendu Belleville Rendez-vous est en train de devenir un « hit »!

Bref, à moins d’aimer passionnément les grenouilles, il y a dans Les Triplettes de Belleville du plaisir pour tous!

Lost in Adaptation!

Article original publié dans VOIR le 11 janvier 2004

Adaptation

Adaptation est basé sur un scénario qui se mord la queue, et ce choix est assumé avec une telle jouissance que le film est un pur bonheur pour l’esprit et les zygomatiques!

Personnellement, je n’ai compris qu’après l’avoir vue combien cette histoire est basée sur la réalité. Ce scénariste nommé Charlie Kaufman, dont la dernière œuvre est Being John Malkovitch, c’est à la fois l’auteur et le personnage de cette intrigue loufoque et introspective. Tous ces gens existent : l’auteur du livre en phase d’adaptation, le chasseur d’orchidées, l’éditeur matérialiste… Tous, sauf ce frère jumeau de Charlie, personnage qui ne représente que le côté extraverti de ce grand névrosé!

Certes, Adaptation est plus «conventionnel» que le délirant Being… mais ce côté «tous publics» cache une dose de poil à gratter assez rare à Hollywood.

Et les acteurs sont réellement impressionnants. Enlaidi dans son double rôle, Nicolas Cage est loin de ses compositions de films d’action. Meryl Streep est parfaite comme d’habitude, et Chris Cooper et simplement époustouflant – c’est en me renseignant sur ce type que j’ai découvert que c’était lui, le père militaire bouleversant dans American Beauty.

Une comédie dramatique bien tordue, qui promène le spectateur de surprise en surprise sans le prendre pour un imbécile; des thèmes aussi majeurs que l’identité, la création, la personnalité; une interprétation formidable… que voulez-vous de plus?

Lost In La Mancha : un chevalier moderne

Article original publié dans VOIR le 10 décembre 2003

Lost In La Mancha

C’est l’histoire d’un homme qui se bat contre la fatalité, dans un coin perdu d’Espagne, et comme le dit la conclusion, «cette fois, la réalité à vaincu le rêve».

Chapitre premier. L’action se déroule au début du XVIIème siècle. Miguel de Cervantès imagine un vieux chevalier illuminé qui croit combattre des géants mais n’affronte que des moulins. Ce sera Don Quichotte de La Mancha, un classique de la littérature mondiale.

Chapitre deux. L’action se déroule au tout début du XXIème siècle, dans la même Espagne. Terry Gilliam tente de donner une nouvelle vie au chevalier à-la-triste-figure en tournant L’Homme qui tua Don Quichotte. Par une ironie du destin très cervantesque, la lutte du cinéaste pour faire son film va vite tourner à la mise en abîme, et malgré une volonté inébranlable, l’entreprise finira en un échec retentissant.

Terry Gilliam était le réalisateur parfait pour adapter ce livre : il est lui-même un Don Quichotte, et ses funestes moulins s’appellent investisseurs, assurances, agenda et météo. Et on compatit! Que les figurants ne connaissent pas leur scène, passe encore. Que Jean Rochefort – le Quichotte du film – soit médicalement incapable de tenir sur une selle, c’est déjà plus fâcheux. Mais que le désert de La Mancha se transforme en un torrent de boue en quelques minutes, c’est trop, la réalité dépasse la fable! On sort de la projection lessivé, en admirant l’humour légendaire dont Gilliam a fait preuve pour laisser Keith Fulton et Louis Pepe finir, et diffuser ce documentaire!
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Mise à jour 2013 : selon certaines nouvelles, le projet de réalisation de L’Homme qui tua Don Quichotte ne serait pas encore abandonné…