Comptable de guerre

Voici le texte que j’ai lu au Cabaret des auteurs du dimanche, sur le thème «comptable».

C’est anecdotique, mais je suis pourri en compta. Vraiment pourri. J’ai longtemps mis ça sur le dos du clivage traditionnel : cerveau droit contre cerveau gauche, rationnel contre affectif, comptables contre artistes. Parce que oui, au passage, ça justifiait mon statut d’artiste. Au-delà de mon constat d’incompétence à gérer des bidous, j’ai fini par croire que tous les artistes étaient des gens empathiques, pacifistes, humanistes et pleins d’humour, alors que les comptables étaient de pathétiques humanoïdes dépourvus d’émotions et déconnectés de leur sentiments ataviques. Et puis j’ai vu la pub pour les Comptables Professionnels Agréés dans le métro, et j’ai compris que ces gens-là aussi savaient avoir du fun.

Vous connaissez Oskar Gröning? Un excellent comptable.

Oskar est né en 1921 en Basse-Saxe (c’est en Allemagne). Sa mère meurt quand il a 4 ans et son père est un con. Lui, c’est plutôt un nerd. Un nerd des chiffres. Son enfance est «marquée par la discipline, l’obéissance et l’autorité», ça fait vraiment des beaux hobbies. Sur ses photos de jeunesse, on voit une beau visage aux traits fins, une bouche presque féminine et des yeux clairs… derrière des lunettes pour le côté nerd. Pas une miette de méchanceté. En 1933, quand un certain Adolf Hitler est élu – démocratiquement – à la tête du pays, Gröning embarque dans les Jeunesses Hitlériennes, convaincu que les nazis sont «les personnes qui veulent le meilleur pour l’Allemagne et font quelque chose pour y arriver.» Ado, il passe donc ses loisirs à brûler des livres écrits par des Juifs et autres auteurs dégénérés. Il est pour le national-socialisme, qui a un effet positif sur l’économie et qui réduit le chômage. C’est important, favoriser l’emploi, hein? Et c’est vrai que les non aryens servent à rien. Laissez faire, c’est de l’humour de comptable.

Gröning est un vrai de vrai bollé. À 17 ans, il fait un stage dans une banque, et là, pouf, la guerre éclate! La moitié des employés de sa banque sont envoyés au casse-pipe, ce qui est une super nouvelle, puisque ça lui permet d’obtenir une belle promotion! Il finit quand même par s’engager dans les SS parce que l’uniforme est beau. Il est comptable, comptable de guerre. Il se décrit lui-même comme «un bureaucrate qui se satisfait de son rôle de salarié dans l’administration SS, qui lui garantit à la fois les aspects militaire et administratif qu’il attend d’une carrière.» Cool.

En 1942, on lui fait signer un contrat de confidentialité hyper-top-secret et on le mute dans un bled dont il n’a jamais entendu parler. Auschwitz. Quand lui et ses camarades demandent la spécialité de l’endroit, on leur répond qu’ils le découvriront par eux-mêmes. J’adore ce genre de réponse : transparence, chose! En attendant, il est super bien nourri. Vu ses compétences comptables surhumaines, on lui confie la gestion de l’argent des Juifs. Des sous qui doivent leur être rendus à leur sortie. Pas plus con que vous et moi, Oskar comprend assez vite que personne ne sort vivant de ce camp, qui est une machine à exterminer les Juifs. Il est perplexe, mais il finit par accepter le principe… parce que «sa routine lui convient». On le nomme sergent. Il raconte cette anecdote [âmes sensibles, sautez ce paragraphe] :

«Un bébé pleurait. L’enfant gisait sur la rampe, emmailloté dans des vêtements. Une mère l’avait abandonné, peut-être parce qu’elle savait que les femmes accompagnées d’enfants étaient envoyées immédiatement à la chambre à gaz. Je vis un soldat SS attraper le bébé par les jambes. Les pleurs l’avaient énervé. Il frappa la tête du bébé contre le flanc d’acier d’un camion jusqu’à ce que le silence se fasse.»

Gröning retourne à sa compta en évitant désormais d’être confronté à ce genre de scènes. L’aveuglement volontaire, un sport très populaire sous les dictatures.

En 1944, il rejoint une unité de combat SS, en France, unité qui se rendra aux Anglais en 45. Conscient que la partie de son CV qui concerne Auschwitz risque de lui nuire, il ment sur son implication : il est innocent comme un soldat du Reich qui vient de naître. Il fait de la prison – dans un ancien camp nazi, merci karma! –, et du travail forcé en Angleterre, où il connaît une «vie très confortable».

Après quelques années, il rentre en Allemagne, retrouve du boulot et interdit à tous ses proches de prononcer un certain mot qui commence par «ausch» et finit par «witz». On a beau être comptable, on a sa sensibilité! Mu par son côté foufou, il collectionne les timbres. Dans son cercle de philatélistes, il côtoie un des premiers négationnistes de la Shoah, et ça vient le chercher. Comme Oskar est un honnête homme – en tout cas selon lui –, il finit par cracher le morceau dans cette déclaration aux négationnistes :

«Je souhaiterais que vous me croyiez. J’ai vu les chambres à gaz. J’ai vu les crématoires. J’ai vu les feux ouverts. Je me suis trouvé sur la rampe lorsque les sélections avaient lieu. Je voudrais que vous croyiez que ces atrocités se sont produites car j’y étais.»

À partir de là, il accepte de tout déballer, en se posant comme un négligeable «petit rouage dans le mécanisme». Un mécanisme qui aura quand même exterminé entre 5 et 6 millions de Juifs. Je vous laisse le digérer : entre 5 et 6 millions. C’est plus que la population du Québec à cette époque. Mais Oskar, lui, n’a jamais tué personne, oh non Monsieur!

Il subit ce qui restera probablement le dernier procès d’un nazi… le 21 avril 2015. Il est condamné à quatre ans de prison pour «complicité» dans le meurtre de 300 000 Juifs, et déclaré apte à purger sa peine d’emprisonnement malgré son âge. L’exécution de la peine est reportée.

Oskar Gröning meurt à l’hôpital le 9 mars 2018 (il y a huit mois!), avant d’avoir été incarcéré. Parti avec la conscience presque tranquille, à 96 ans.

Vous voyez où peut mener la comptabilité? Étudiez donc en arts, plutôt.

Des logos pas vraiment faits pour nous

Comme mes 4 logos étrangers-qui-ne-passeraient-en-terre-francophone ont connu un certain succès viral, j’ai décidé de partager la série complète.

Mise en contexte : j’accompagne cet automne un groupe d’étudiants de l’École de Design Nantes Atlantique dans un projet de design. Je leur présente des capsules pédagogiques, dont une qui concerne la recherche de nom. Pour illustrer par l’absurde la nécessité de respecter les codes de la langue du marché qu’on cible, j’ai collectionné des logos existants qui ne «passeraient pas» en français. Je n’ai jamais dit autant de gros mots en public. Les voici.

Résumé de campagne neutre

Ce dimanche 30 septembre 2018, veille des élections provinciales, j’animais le Cabaret des auteurs du dimanche. Voici l’introduction que j’ai livrée sur scène.

Vous ne le savez sans doute pas, mais il y a une campagne électorale, en ce moment. Et comme elle achève – et nous avec –, je vous ai préparé un petit résumé. Zéro partisanerie. Dans un souci de neutralité, j’ai masqué tous les noms.

Un député en poste depuis 24 ans se fait tasser par un joueur de hockey italien. Une candidate bourdonne d’un parti à l’autre et atterrit sur le pistil le plus juteux. 100% des partis incarnent le changement. Un parti qui a oublié ses rêves s’offre un bus de campagne psychédélique. Une célébrité appuie un parti. Un dragon «honnête» se reconnaît finalement dans les valeurs d’un parti corrompu. Tous les candidats sont bien contents d’être dans l’équipe des bons, alors que toutes les autres équipes sont juste des pas-bons. Environ deux partis font de l’humour, mais personne ne rit. Une auteure du dimanche se présente dans Terrebonne. Une femme transgenre se lance en politique pour prouver que l’hypocrisie n’a pas de sexe. Le Ju-Jitsu est à l’honneur pendant environ 5 heures. Quelqu’un trouve que pas tellement. Une célébrité appuie un parti. Un parti fait les lunchs des enfants et un autre les nourrit avec le prix des ziplocs vides. Un candidat perd son poste pour avoir parlé aux pauvres du prix de l’essence devant son char de riche. Une candidate dit sans réfléchir que les Québécois réfléchissent enfin. Un parti est pro-pétrole. Un autre est pro-paradis fiscaux. Un troisième est prolétaire. Un débat télévisé en anglais permet aux électeurs de ne rien comprendre dans les deux langues. Une célébrité accuse un parti de quelque chose. Quelqu’un dit que non, pas du tout. Tous les partis veulent des référendums, sauf le parti qu’on accuse de vouloir un référendum. L’environnement n’est pas important. La culture n’est pas importante. Les immigrants sont importants. Des jeunes influenceurs – dont au moins un ex-auteur du dimanche – sont invités dans un bus de campagne, mais pas celui qui est psychédélique, si vous suivez. Un parti a un chef caché. Un premier ministre se confie dans un magazine super jeune hyper tendance top cool, magazine qui devient instantanément moins jeune, moins tendance et moins cool. Une célébrité appuie un parti. Soudain, un parti est communiste, et c’est très mal. Le scrutin est demain : ça m’a fait plaisir de vous aider.

OK, ça, c’est réglé.

Recherche en cours…

Correspondance : États-Unis

Voici la correspondance que j’ai échangée avec Catherine Ethier lors du Cabaret des auteurs du dimanche ayant pour thème États-Unis. Le principe est simple : j’ai écrit une première lettre à Catherine, qui m’a répondu, à qui j’ai répondu… et j’ai découvert le quatrième chapitre sur scène, en même temps que le public. Avertissement : si vous allez aux États après avoir lu ça (même au Minnesota), vous serez déçus.

Chère Serena Wolfpitch,

Je vous écris, car je vous ai vue hier dans le reportage sur les poseuses d’ongles dans le Minnesota Nord. Je suis moi-même peu informé sur les techniques de manucures et sur la région de Bemidji, mais je n’oublierai jamais votre témoignage. Était-ce votre sourire, vos doigts robustes, votre voix rauque, votre léger accent abitibien, ou l’architecture de vos boucles rousses? Toujours est-il que j’ai eu LA révélation, celle que j’attendais depuis des années et qui me pousse à vous écrire.

Là, je change de paragraphe et je passe au tu, tu vas comprendre pourquoi assez vite, ma Serena.

Tu es Sergio-L’Escapade et tu me dois ma part.

Oh, ton changement de sexe pis de face sont parfaits, et sans cette émission pour madames, j’aurais JAMAIS eu l’idée de te chercher aux États. Mais comme j’ai pas retrouvé de travail depuis ma sortie, j’ai beaucoup trop de temps pour regarder les émissions plates. Serena.

Je suis pas comptable, mais d’après mes calculs, tu me dois 225 000 belles piasses. C’est le 100 000 de ma part, plus 22 ans d’intérêts. Parlant de 22 ans, tu sauras que c’est long en cibolaque au pénitencier, et ça laisse pas mal de lousse pour imaginer le tabarnak – ou le transgenre, comme on dit maintenant – qui s’est poussé avec le cash. Je me suis rejoué en masse l’attaque du camion de Garda entre Drummondville et Saint-Eugène, la souricière parfaite, le gros en uniforme qui veut jouer au fin-finaud, le coup de feu, la police ben trop proche, la gang en panique, et mon Sergio qui disparaît avec les sacs.

On était une équipe. Des chums. J’ai pas mérité de pourrir pendant 264 mois au milieu des fous malades, juste parce que j’ai un peu tué le gros. Mais mettons que j’ai payé ma dette à la société.

Ben je pense que c’est le moment de récupérer mes bidous. Parce qu’ils sont à moi, et parce que c’est ben beau de se faire chopper la bizoune pour poser des ongles à des Minnesotiennes, mais à un moment donné, faut payer son bill. Pour un temps limité, je suis prêt à pas t’arracher ta nouvelle face. Je suis même OK pour faire la moitié du chemin si tu me redonnes mon cash sans faire de trouble. Moi, je veux juste une retraite d’honnête homme. Comme toi, mais sans les totons ni les frisettes. Pas faire de vagues et pu tuer parsonne.

Ça fait que réponds-moi, qu’on se donne the rendez-vous qui me permettra enfin de chiller dans un chalet en faisant semblant d’être pauvre, et qui t’ôtera une menace un ti-peu plus stressante qu’un vernis raté sur les doigts d’une vieille parkinson.

Chuis un visuel, Sergio, et c’est pas des cheveux, une robe à fleurs pis du botox qui peuvent m’empêcher de reconnaître une face. Ni de faire des trous dedans.

Your time is up, comme disait Harvey Weinstein. J’attendrai pas 22 ans de plus.

Yours truly,

Maurice Momo Chiasson

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Momo!

Veux-tu ben me dire comment est-ce que c’est rendu que tu parles? T’est ben chic, mon tabarnak! Ça te va ben! Toute t’a toujours été, toi, mon osti. Je me souviens de cet après-midi aux danseuses où tu portais tes jeans-cigarette Boulet, tsé, ceux que t’avais payés cher et qui, on va se le confier, te faisaient toute une paire de miches. Deux beaux pains de campagne à la sambuca, ha ha!  On avait-tu assez ri! T’avais payé la tournée de bière-clamato à tout le monde, y compris à Ti-Bécik, notre préférée. Je te dis qu’a’ tournaillait autour d’un poteau comme pas une, notre Ti-Bécik. Une tigresse. J’ai gardé son ongle cassé, de la fois où a’ s’était battue avec Paulo parce qu’il voulait pas y redonner son top brillant. Eh! Que ça avait saigné, c’fois-là. C’était le bon temps. J’y repense chaque fois que je regarde son bel ongle de deux pouces glossy, avec le design de palmiers pis de coucher de soleil de Miami. Dans le temps, je comprenais pas pourquoi ça me faisait de l’effet de même, un dessin. Mais je l’ai gardé. Toujours, dans mon portefeuille.

Pis ben… qu’est-ce tu veux, mon Momo. Y’est arrivé ce qui est arrivé. On s’était pourtant dit qu’y’en n’aurait pas, de marde. J’arrivais derrière le truck avec ma perruque frisée pis je criais « Tout le monde à terre, ça va aller vite! », comme Monica la Mitraille. Le parfait larcin. C’était clair comme de l’eau de poche. Tout le monde se serait couché à terre pis ça serait allé vite. Une job propre, comme qu’on avait dessiné sur ton paquet de Gauloises. Mais y’a fallu que tu fasses à ta tête, Momo. Y’a fallu que tu voles le show. Pis que tu passes le gros. J’entends encore son râle gras et je peux pas m’enlever ses petites guiches frisées pleines de sang noir de d’ans tête, Momo. Ton Sergio est mort, ce jour-là.

Quand l’autobus m’a débarqué à Bemidji, je me suis juré que ma nouvelle vie serait belle. Que j’aurais un logement à moi, une berçante, pis des buissons avec des pompons de fleurs. J’ai jamais pu t’en parler, de ça, Momo. On jasais jamais de fleurs pis de pompons, toi pis moi. Qu’est-ce tu veux. Ça fait que la première affaire que j’ai faite, c’est de me refaire faire les dents. Je couchais dans des motels, j’avais rien à moi, sauf mes belles dents lilas. Eille tu devrais me voir la paire de chicklets! Ça m’a tenu en vie sur un esti d’temps, d’entendre le bruit de mes palettes qui croquent dans une tomate. Les tomates sont fermes en tabarnak, par-ici, Momo.

Pis un matin, j’ai compris que je m’étais toujours appelée Serena; un nom prestigieux pis pas cheap comme Jessica. Je suis partie de là, Momo. Pis un beau manné, entre deux jobines de peinture, je suis retombée sur l’ongle de Ti-Bécik. Le nailart est ben fort, par-icitte. Ça fait que je me suis pratiqué un peu, chaque soir, sur des écailles de pinottes. Ben j’ai pogné la twist. Je suis capable de te peinturer le skyline de Dégelis rien que sur un pouce, mon Momo. J’ai inspiré le respect pis le mot s’est passé. La business est bonne. Les bonnes femmes aiment ça, se faire peinturer des teddé-bears sur les doigts.

Je vais passer par-dessus toutes les saloperies que tu racontes sur ma nouvelle enveloppe. C’est pas à ta portée, Momo. Là, Ti-Bécik est avec moi. On en a jasé, pis on t’a préparé un sac sport avec ce que je considère qui te revient. Viens le 12, y t’attendra au Cimetière Greenwood sur la tombe de tu sais qui.

10 heures au soir.

Serena

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Serena,

Normalement, j’haïs ça, les fausses femmes.

Mais d’un autre côté, 22 ans en dedans, ça étire bien des choses et ça te change une vision. J’ai changé, Serena. Et oui, je parle chic à cause que je me suis cultivé pendant ma détention. Astheure, je clanche n’importe qui au sudoku. T’as toujours été artiste, moi, je suis un penseux. Mais ça, c’est juste la surface des choses. Il faut que je te parle de ce qui se passe dans le fond de moi.

Ça me tourne dans la tête depuis que j’ai lu ta lettre, je vais te le dire comme ça vient : t’es mon genre de partneuse. En tout cas, y’en avait des ben plus laittes à mon unité, pis ç’a jamais empêché l’affection. Je relis tes mots, pis ça fait des phrases, pis ces phrases-là touchent mon âme ben ben profond.

Fait que j’ai un deal à te proposer. On se voit le 12, là où repose le fantôme de notre jeunesse – ouin, j’ai beaucoup lu – pis je veux te voir toi, en personne, avec ou sans Ti-Bécik. Je compterai le cash direct sur la pierre tombale ou autre surface plate, et je m’attends, au nom de notre complicité, à ne pas me faire prendre pour un épais. Pis pour balancer tout ce qui sera pas dans la poche de hockey, je veux une place dans ton cœur de femme nouvelle.

Mon nouveau plan, c’est d’aimer Serena Wolfpitch aussi fort que j’ai haï Sergio-L’Escapade. Pis y’aura pas de mort dans ce coup-là.

Sous mon ti-cuir de brute, y’a une grosse boule de sentiments. Je sais ce que je vaux, et j’aime pas me faire négocier. Alors c’est ça. Pour pas m’avoir dans ton chemin, tiens-moi proche-proche-proche. Tu trouveras pas meilleur compagnon de vie que quelqu’un qu’a tué pour toi et qui a deux décades de manque affectif à combler. Pis toi et moi, on a joué la même game dans la même gang : on peut pu se mentir.

On n’a pu 20 ans, Serena. C’est notre chance de repartir à zéro, dans un nouveau pays, au milieu des pompons de fleurs, des pizzas hawaïennes et du vernis à ongles. Un monde juste à nous autres. Je suis encore solide et j’ai du cœur au ventre; je pourrais facilement me trouver une job d’Américain, comme détective privé, conducteur d’ascenseur ou même juré de procès. Et tu finiras par l’avoir, ton salon de manicure rien qu’à toi, tout plein de bouquets d’hortensias, de grosses femmes riches et de rires d’enfants. Si tu tends ta main dodue, tu peux toucher du doigt notre ti-boute de paradis : il est juste là!

Fait que 10 h au Cimetière Greenwood, mets-toi belle. Pis si il faut que Ti-Bécik embarque avec nous, ça me dérange même pas.

Ton Momo

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Allô mon momo!

Eh bateau! Je pensais pas que tu changerais ton fusil d’épaule de même, mon salaud! J’ai les fruit of the loom en lavette, ça pisse à’ grandeur du corps. Je braille, Momo, des belles larmes d’homme sur les fins traits de mon faciès de femme. Ça faisait longtemps, que j’avais pas pleuré au masculin. Mes larmes tombent sur mon napperon du Denis pis ça goûte le cuir. Le cuir pis le métal. Au début, j’ai eu peur d’être après faire un ACV, mais vu que ça sentait pas les toasts, je suis correcte.

Cré Maurice. Tendre comme un steak délicatisé. Mais m’a t’en faire, une fausse femme! Tu dirais pas ça si tu voyais ce que je suis capable de faire à un cône orange sua rue. Y’a pas une femme, PAS UNE, que je connaisse qui soit capable de s’asseoir là-dessus, lentement, sans changer de la face, en prendant ben son temps jusqu’à ce qu’y disparaisse dans sa petite rocaille intime. Le petit serveur du Boston Pizza a fait toute que le saut quand j’ai fait disparaître notre deux litres de Pepsi, à notre souper de femmes, l’autre soir. Eille, le fun qu’on a eu! Pis on a beau pas s’être parlé depuis au-dessus de 20 ans, j’ai pas de problème à te confier su’l side, mon Momo, à quel point le docteur, un beau Chinois, m’a fait une belle job de ploune. C’est beau, même à la clairceur! Tu créeras pas à ça, m’a te la montrer, elle est belle comme le petit St-Jean-Baptiste, rose pis gold en même temps, avec des airs de Patsy Gallant quand a lève sa grand’ patte dans les airs. Pas sa fourche à elle; MON PÉRINÉE EST UNE VÉRITABLE ET TOUTE PETITE TINY TINY BIKINI BEANIE PATSY. J’AI ÇA DANS MES CULOTTES, ASTHEURE MON BEAU NOIR, peux-tu croire?

Bon là, laisse donc faire le cimetière pis les sparages; comme on savait pas à quoi s’attendre, Ti-Bécik pis moé, on voulait pas prendre de chance. Les pierres tombales, la brunantes, on trouvait que ça faisait safe; on s’était même acheté des impers kaki pis des bandanas en qu’en qu’y’aurait fallu se battre. Mais à te lire, on n’est pu là-dedans, astheure. Viens donc prendre un brandy à’ maison mobile, à la place. On est ben équipées! On vient même de s’acheter un Brita. Le sac sport est là, y t’attend, ben plein, comme mon siot de piroulines à côté du cendrier. Je me souviens de ta gencive sucrée! Viens donc, on va se faire des hot dogs au beurre de pinotte, comme dans le temps, pis m’a te faire une job de cuticules que t’es pas près d’oublier.

Imaginer la terre comme un jardin d’Eden
Horizon sans frontières Russes, ou Américaines
Ou personne ne s’amuse à jouer à la roulette
À qui sera le premier, à faire sauter la planète.

Bocal de poissons rouges sur le crâne, regard Bocan, JE T’ATTENDS.

Ps tendresse :: Ti-Bécik fait dire que tu vas dormir su’l sofa.

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J’haïs l’éponymie

Voici le texte que j’ai écrit pour le Cabaret des auteurs du dimanche dont le thème était mais.

Hé hé, c’est un thème parfait pour parler des sujets controversés, hein? Des trucs qui te polarisent un bar en moins de temps qu’il n’en faut à Marie-Ève pour siffler une 50. Des questions intenses, jamais résolues, des tabous. Alors j’me lance parce qu’il faut que ça sorte :

J’haïs l’éponymie.

Ça fesse, hein?

Prenez le cas de la musique. Mettons qu’un chanteur nommé Joe Blow sort un album intitulé Joe Blow. Vous le voyez le problème? Ou plutôt LES problèmes? Premièrement : tu fais un métier créatif, t’as composé 12 chansons mais t’es PAS CAPABLE de trouver un titre pour l’ensemble? Tu peux prendre le titre d’une des tounes, tsé, personne t’en voudra. À moins que TOUTES tes tounes s’appellent aussi Joe Blow parce que t’es vraiment un gros criss de paresseux? Deuxième problème : si ton album porte ton nom, c’est que t’as TOUT donné, right? T’es vide, t’es sec comme le fond de la bouteille à Marie-Ève? Donc, le message, c’est que tu feras pas d’autre album, jamais. Ça restera Joe Blow, l’album de Joe Blow? Ben tant mieux parce que même le premier, je l’écouterai pas!

Nan mais t’imagines l’écrivain? «Je voulais faire avancer la littérature et j’ai nourri ce roman pendant cinq longues années. Il était en moi. Mais j’ai pas trouvé de titre alors il s’appelle Gilbert Fournu». Mais non, Gilbert, mais non, mais non, mais non.

Pareil pour le théâtre :
– Hier, je suis allé voir Michel Tremblay.
– Ha? Il va bien?
– Non la pièce Michel Tremblay, de Michel Tremblay.
– Ah. C’est autobiographique?
– Nan, c’est éponyme.

C’est chiant, l’éponymie. C’est illogique, c’est redondant, c’est égoïste, pis c’est rigide!

Ouais, rigide. Pénélope McQuade, quand elle est trop malade pour animer Pénélope McQuade, elle se fait remplacer par un autre animateur. Un animateur qui anime Pénélope McQuade. C’est moi ou c’est malsain?

Pareil à la radio. Sur Ici Musique, je suis déjà tombé sur le remplaçant de Via Fehmiu qui parlait au remplaçant de Plaisirs Therrien. Non mais ça fait-tu assez territorial? Je te prête mon micro mais j’ai pissé sur le siège?

Tenez, une nuance intéressante : vous voyez la différence entre «je lis le dernier Kundera» et «je lis le dernier Ricardo»? C’est ça. Aucun des romans de Kundera ne s’appelle Kundera, mais tous les magazines de Ricardo s’appellent Véro… euh Ricardo! C’est mêlant.

Honnêtement, Beethoven aurait eu l’air d’un sacré taouin s’il avait composé une symphonie éponyme. Et Michel-Ange, vous avez admiré sa fresque éponyme dans la chapelle Chapelle?

Bon. Parmi les artistes, il y a ceux qui se sont trouvé un nom d’artiste, un pseudo, comme on dit. Mais pour tous les autres artistes «éponymes», comme c’est juste leur nom de naissance, eh bien c’est leurs parents qui ont choisi la première moitié du nom de leur œuvre, et la seconde moitié vient de leurs ancêtres. Pas super créatif ça, mon champion…

À l’époque où on parle de différencier l’œuvre de l’auteur – allô Sylvain Archambault, Roman Polanski et toute la gang de vieux dégueux qui méritent pas leur talent –, pourquoi tu voudrais qu’une chose que tu as faite à un moment de ta carrière porte ton nom? Un CV, c’est pas j’ai fait ça, pis j’ai fait ça, pis j’ai fait ça, pis j’ai fait MOI, pis j’ai fait ça… Ah mon dieu, je peux pu rien faire! Cet album, C’EST MOI! Ma vie est finie, je me roule en boule et je me laisse mourir. Gilbert Fournu (l’album) me survivra! Meh. Loser.

Le pire, c’est qu’en musique, plein de gens que j’aime sont coupables d’éponymie, les salauds. Les Beatles, Jobim, les Beach Boys, Dylan, Blood, Sweat & Tears, Bowie, 10cc, Peter Gabriel (il en a même fait quatre, le bâtard!), Queen, The Clash, The B-52’s, Björk, The Cars, Pretenders, Gorillaz, Bebel Gilberto, et aussi plein d’artistes francophones mais j’ai pas trouvé de liste sur les interwebs… oui je sais, vous avez tous vos exemples, MAIS LES MIENS SONT MEILLEURS, OK?

J’haïs l’éponymie. Surtout que quand tu commets le crime d’éponymie, ta création te dévore et te vole tom nom! Parce que vous pouvez vérifier, on a le droit d’écrire : David Bowie, l’album du chanteur éponyme! Boum, c’est le chanteur qui est rendu éponyme! Pis quoi encore, son album va le poursuivre en propriété intellectuelle?

Pis vous avez remarqué? Personne n’en parle. Jamais une ligne sur l’éponymie. Nulle part. Pour moi, c’est clair : y’a des intérêts qu’ont pas intérêt.

Je suis vraiment pas étonné que dans Wikipédia, l’exemple qui sert à définir l’éponymie est le mot poubelle, qui vient du nom du préfet de la Seine, Eugène Poubelle, qui imposa l’usage de ce dispositif. ÉPONYMIE ÉGALE POUBELLE.

C’est pour ça que ce texte ne s’appelle pas Olivier Bruel. Rendez-moi service : tuez-moi à coup de micro si je crée une œuvre éponyme.